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vendredi 24 février 2012
La CIA finance la construction européenne
La CIA finance la construction européenne
Revue Historia
Comme certains d’entre vous le savent, il fut un temps où je me suis rendu sur Wikipédia pour y modifier les fiches de Robert Schuman, Paul Henri Spaak, et Retinger pour expliquer qu’ils étaient financés par les services secrets américains, dans le but de pousser à l’intégration Européenne.
Or la dernière fois que je me suis rendu sur la page de M. Schuman, pour y chercher une information : Horreur ! La fiche a été modifiée, et la mention « Controverse » que j’avais ajouté avait disparu !
Raison invoquée : L’article du Daily Telegraph, signé par le Grand Reporter Ambrose Evans Pritchard ne serait pas assez sourcé, pas assez fiable. Qu’à cela ne tienne, j’ai appelé certains amis à l’aide, pour réussir à trouver les pièces déclassifiées, et avoir enfin le fin mot de l’histoire. Impossible. On n’y arrive pas, jusqu’à ce que l’équipe UPR déniche un texte, assez savoureux, et dont la source n’est autre que la revue Historia.
Nous reproduisons ici cet article très intéressant de Rémi Kauffer datant de 2003 (source : http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=6744). Bonne lecture :)
La CIA finance la construction européenne
01/03/2003 – 675
De 1949 à 1959, en pleine guerre froide, les Américains, par l’intermédiaire de leurs services secrets et du Comité pour l’Europe unie, versent l’équivalent de 50 millions de dollars actuels à tous les mouvements pro-européens, parmi lesquels ceux du Britannique Winston Churchill ou du Français Henri Frenay. Leur but, contenir la poussée soviétique…
A 82 ans, Henri Frenay, le pionnier de la Résistance intérieure, fondateur du mouvement Combat, arbore une forme intellectuelle éblouissante malgré sa surdité de l’oreille droite et sa récente opération de l’estomac. Pourtant, il n’a plus que trois mois à vivre. En ces jours de mai 1988, il me parle de l’Europe dans son appartement de Boulogne-sur-Seine.
De cette Europe fédérale dont il a révé en vain entre 1948-1954. De la dette aussi que, en cas de succès, le Vieux Continent aurait contracté envers les Américains, ceux notamment du » Comité « . Et d’insister une fois, deux fois, dix fois, tandis que moi, je m’interroge : pourquoi diable ce mystérieux » Comité » revient-il à une telle fréquence dans nos conversations ? Pourquoi ?
Mais parce que Frenay me confie, avec il est vrai d’infinies précautions de langage, son ultime secret : l’aide financière occulte de la CIA via l’American Committee for United Europe – le Comité – à l’Union européenne des fédéralistes dont il a été le président. Pour reconstituer cette filière inédite, il me faudra une quinzaine d’années.
Un jeu qui en valait la chandelle puisqu’il me permet d’ouvrir, pour les lecteurs d’ Historia, la porte d’un des compartiments les plus secrets de la guerre froide…
Tout commence à l’automne 1948. Déjà coupée en deux, l’Europe vit sous la menace d’une invasion totale par l’armée rouge. Au » coup de Prague » en février, vient de succéder en juin le blocus de Berlin. Un petit cénacle de personnalités de l’ombre jette alors les bases de l’American Committee for United Europe, l’ACUE – son existence sera officialisée le 5 janvier 1949 à la maison de la Fondation Woodrow-Wilson de New York. Politiques, juristes, banquiers, syndicalistes vont se méler au sein de son conseil de direction.
De hautes figures gouvernementales aussi comme Robert Paterson, le secrétaire à la Guerre ; James Webb, le directeur du budget ; Paul Hoffman, le chef de l’administration du plan Marshall ; ou Lucius Clay, le » proconsul » de la zone d’occupation américaine en Allemagne.
Bien tranquilles, ces Américains-là ? Non, car la véritable ossature de l’ACUE est constituée d’hommes des services secrets. Prenez son président, William Donovan. Né en 1883 à Buffalo, cet avocat irlando-américain au physique de bouledogue, surnommé » Wild Bill » par ses amis, connaît bien l’Europe. En 1915, il y remplissait déjà une mission humanitaire pour le compte de la Fondation Rockefeller. Deux ans plus tard, Donovan retrouvait le Vieux Continent pour y faire, cette fois, une Grande Guerre magnifique. Redevenu civil, » Wild Bill » va se muer en missus dominicus du gouvernement américain.
Ses pas d’émissaire officieux le portent vers l’Europe pour des rencontres parfois imprévues. En janvier 1923, alors qu’ils goà»tent un repos bien mérité, sa femme Ruth et lui devront ainsi subir une soirée entière les vociférations d’un autre habitué de la pension Moritz de Berchtesgaden. Dix-sept ans plus tard, l’agité, un certain Adolf Hitler, s’est rendu maître de la partie continentale de l’Europe, et c’est » Wild Bill » que Franklin Roosevelt, inquiet, dépéche à Londres s’enquérir auprès de Winston Churchill du potentiel britannique face à l’avancée nazie.
En juin 1942, Donovan, homme de confiance du président démocrate pour les affaires spéciales, crée l’Office of Strategic Services (OSS), le service secret américain du temps de la Seconde Guerre mondiale dont il devient le chef et qu’il quittera à sa dissolution, en septembre 1945, sans perdre le contact avec l’univers du renseignement : » Wild Bill » tisse des liens privilégiés avec la Central Intelligence Agency, la CIA, créée officiellement le 15 septembre 1947 par une loi sur la sécurité nationale signée par le successeur de Roosevelt, Harry Truman.
Prenez le vice-président de l’ACUE Walter Bedell Smith, ancien chef d’état-major d’Eisenhower pendant la Seconde Guerre mondiale puis ambassadeur des Etats-Unis à Moscou. A partir d’octobre 1950, celui que ses amis surnomment le » Scarabée » ( beetleen anglais) va prendre les commandes de la CIA. 1950, c’est justement l’année o๠des universitaires comme Frederick Burkhardt et surtout William Langer, historien à Harvard, lancent la section culturelle de l’ACUE.
deux proches de Donovan ont servi autrefois dans les rangs de l’OSS. Langer en a dirigé le service Recherche et Analyse et, excellent connaisseur de la politique française, a méme commis après-guerre un ouvrage savant qui s’efforçait de dédouaner Le Jeu américain à Vichy (Plon, 1948).
Prenez surtout Allen Dulles. A l’été 1948, c’est lui qui a » inventé » le Comité avec Duncan Sandys, le gendre de Churchill, et George Franklin, un diplomate américain. Principal associé du cabinet de juristes Sullivan & Cromwell, Dulles n’impressionne guère de prime abord avec ses fines lunettes, ses éternelles pipes de bruyère et ses vestes en tweed. Sauf qu’avec ce quinquagénaire, un maître espion entre dans la danse.
Retour à la case Seconde Guerre mondiale. Chef de l’OSS à Berne, Dulles noue en février 1943 des contacts avec la délégation de Combat en Suisse. Un temps, il assurera méme le financement du mouvement clandestin. » Coup de poignard dans le dos du général de Gaulle « , s’insurge Jean Moulin au nom de la France libre.
» Survie de la Résistance intérieure menacée d’étranglement financier « , rétorque Frenay.
Pensant d’abord à ses camarades dénués de moyens, aux maquisards en danger, il ne voit pas pourquoi Combat devrait se priver d’un argent allié versé, c’est convenu, sans contrepartie politique. Cette » affaire suisse » va empoisonner un peu plus encore ses rapports avec Moulin.
En 1946, Dulles démissionne des services secrets… pour en devenir aussitôt l’éminence grise, prenant une part prépondérante à la rédaction du texte de loi présidentiel sur la sécurité nationale. Cofondateur à ce titre de la CIA (pour les initiés : l’Agence ou mieux, la Compagnie), Dulles pense qu’en matière d’action clandestine, privé et public doivent conjuguer leurs forces. C’est lui qui a déjà inspiré, par l’intermédiaire de ses amis du Brook Club de New York, le versement des subsides de grosses sociétés américaines à la démocratie chrétienne italienne menacée par un parti communiste surpuissant.
En 1950, il va reprendre officiellement du service comme bras droit du Scarabée d’abord, comme son successeur à la téte de la CIA ensuite – de février 1953 à septembre 1961. Record de longévité d’autant plus impressionnant que son frère aîné John Forster Dulles, restera, lui, ministre des Affaires étrangères de 1953 à sa mort de maladie en mai 1959.
Etonnant creuset que l’ACUE, o๠des personnalités de la haute société et/ou de la CIA côtoient les dirigeants de la puissante centrale syndicale American Federation of Labor, l’AFL, dont ils partagent l’aversion du communisme. Exemples : David Dubinsky, né en 1892 à Brest-Litovsk, en Russie, dirige le Syndicat international de la confection pour dames (ILGWU) : 45 000 adhérents à son arrivée en 1932, 200 000 à la fin des années 1940 ! Ennemi acharné des nazis hier (les syndicalistes proches de l’ACUE sont presque tous juifs), c’est aux commies , les » cocos « , qu’il en veut dorénavant.
Jay Lovestone aussi. Conseiller politique de l’AFL, ce Lituanien d’origine sait de quoi il parle : avant sa brutale exclusion puis sa lente rupture avec le marxisme, il fut, entre 1925 et 1929, le secrétaire général du PC américain ! Autre recrue de choix du Comité, Arthur Goldberg, le meilleur juriste de l’AFL. Futur secrétaire au Travail du président Kennedy puis juge à la Cour supréme, Goldberg, né en 1908, a dirigé l’aile syndicale de l’OSS. A ce titre, il fut en son temps le supérieur hiérarchique d’Irving Brown, son cadet de deux ans. Brown, représentant de l’AFL pour l’Europe et grand dispensateur de dollars aux syndicalistes modérés du Vieux Continent
Puisant dans les fonds secrets de la toute jeune CIA, laquelle finance depuis 1946 toutes les opérations anticommunistes de l’AFL, ce dur à cuire ne ménage pas, par exemple, son soutien à Force ouvrière, la centrale syndicale née fin 1947 de la scission de la CGT (lire » Derrière Force ouvrière, Brown, l’ami américain » dans Historia n° 621 de décembre 1997). Pure et dure, la ligne Brown contraste d’ailleurs avec celle, plus nuancée, de la CIA.
A la Compagnie, on aurait préféré que les non-communistes restent dans le giron de la CGT, méme contrôlée par le PCF…
C’est qu’au-delà des hommes, il y a la stratégie d’ensemble. Face à l’Union soviétique, Washington développe deux concepts clés : le containment (l’endiguement) et plan Marshall. L’idée du containment , revient à un diplomate russophone, George Kennan, qui la développe dès juillet 1947 dans un article de la revue Foreign Affairs : » L’élément majeur de la politique des Etats-Unis en direction de l’Union soviétique doit étre celui d’un endiguement à long terme, patient mais ferme, des tendances expansionnistes russes. «
Le plan Marshall, lui, porte la marque de son inventeur le général George Marshall, chef d’état-major de l’US Army pendant la guerre, et désormais ministre des Affaires étrangères du président Truman. En apportant une aide massive aux pays d’Europe ruinés, les Etats-Unis doivent, selon lui, faire coup double : un, couper l’herbe sous le pied des partis communistes par une hausse rapide du niveau de vie dans les pays concernés ; deux, empécher leur propre industrie de sombrer dans la dépression en lui ouvrant de nouveaux marchés.
Pour le tandem Marshall-Kennan, pas de meilleur outil que la CIA (lire l’interview d’Alexis Debat, page 51). Et c’est naturellement un autre ancien de l’OSS, Franck Wisner Jr, qu’on charge de mettre sur pied un département autonome spécialisé dans la guerre psychologique, intellectuelle et idéologique, l’Office of Policy Coordination ! Si ce bon vieux » Wiz » ne fait pas partie du Comité, ses hommes vont lui fournir toute la logistique nécessaire. Mais chut ! c’est top secret…
L’ACUE allie sans complexe une certaine forme de messianisme américain avec le souci de la défense bien comprise des intéréts des Etats-Unis. Messianique, cette volonté bien ancrée de mettre le Vieux Continent à l’école du Nouveau Monde. Phare de la liberté menacée, l’Amérique a trouvé, la première, la voie d’une fédération d’Etats, succès si resplendissant que l’Europe n’a plus qu’à l’imiter…
Cet européanisme made in Washington comporte sa part de sincérité : » Ils m’appellent le père du renseignement centralisé, mais je préférerais qu’on se souvienne de moi à cause de ma contribution à l’unification de l’Europe « , soupire ainsi Donovan en octobre 1952.
De sa part de calcul aussi. Car en décembre 1956, trois mois avant sa mort, le méme Donovan présentera l’Europe unie comme » un rempart contre les menées agressives du monde communiste « . En d’autres termes, un atout supplémentaire de la stratégie américaine conçue par Marshall, Kennan et leurs successeurs : construire l’Europe, c’est remplir un vide continental qui ne profite qu’à Staline, donc, en dernier ressort, protéger les Etats-Unis.
Ajoutons une troisième dimension. Dans l’esprit des hommes de la Compagnie, rien de plus noble qu’une action clandestine au service de la liberté. Tout officier de la CIA le sait : les Etats-Unis sont nés pour une bonne part du soutien des agents de Louis XVI, Beaumarchais en téte, aux insurgés nord-américains. Ainsi l’opération American Committee, la plus importante, et de loin menée, par l’Agence en Europe pendant la guerre froide, se trouve-t-elle justifiée par l’Histoire.
Pour chaleureuse qu’elle soit, l’amitié franco-américaine ne saurait toutefois distendre le » lien spécial » entre Grande-Bretagne et Etats-Unis. En foi de quoi, Comité et Compagnie tournent d’abord leur regard vers Londres. Hélas ! Churchill, battu aux législatives de 1945, ronge ses griffes dans l’opposition. Le nouveau secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, Ernest Bevin, a bien proclamé le 2 janvier 1948 aux Communes : » Les nations libres d’Europe doivent maintenant se réunir. «
N’empéche que ses collègues du cabinet travailliste et lui repoussent avec horreur la perspective d’une véritable intégration continentale. Non pas que Bevin craigne de s’affronter aux communistes : deux jours après son discours de janvier, il créait un organisme clandestin de guerre idéologique, l’Information Research Department. Ce méme IRD qui, jugeant La Ferme des animaux et1984 plus efficaces que mille brochures de propagande, va contribuer à diffuser partout dans le monde les oeuvres de George Orwell. Mais la carte Europe unie, alors là , non !
Cette carte, Churchill la joue-t-il de son côté par conviction profonde ou par aversion pour ses rivaux politiques de gauche ? Le fait est que le 19 septembre 1946 à Zurich, le Vieux Lion appelle à un axe anglo-franco-allemand, élément majeur selon lui d’une » espèce d’Etats unis d’Europe « . Qu’en mai 1948, Duncan Sandys, taille aux mesures de son homme d’Etat de beau-père le Congrès européaniste de La Haye.
Qu’en octobre 1948, Churchill crée l’United European Movement – le Mouvement européen. Qu’il en devient président d’honneur aux côtés de deux démocrates-chrétiens, l’Italien Alcide De Gasperi et l’Allemand Konrad Adenauer, et de deux socialistes, le Français Léon Blum et le Belge Paul-Henri Spaak. Malheureusement pour les » amis américains « , cette tendance » unioniste » ne propose, à l’exception notable de Spaak, que des objectifs européens limités. Reconstruction économique et politique sur une base démocratique, d’accord, mais sans transfert, méme partiel, de souveraineté.
Le Comité et la tendance » fédéraliste « , dont Henri Frenay émerge comme la figure emblématique, veulent, eux, aller beaucoup plus loin. Aux heures les plus noires de la Seconde Guerre mondiale, Frenay, patriote mondialiste, a conçu l’idée d’un Vieux Continent unifié sur une base supranationale.
En novembre 1942, révélera quarante ans plus tard Robert Belot dans le remarquable travail sur Frenay qui vient de lui valoir l’habilitation à diriger des recherches à l’Université, le chef de Combat écrivait au général de Gaulle qu’il faudrait dépasser l’idée d’Etat-Nation, se réconcilier avec l’Allemagne après-guerre et construire une Europe fédérale.
Logique avec lui-méme, Frenay se jette dès 1946 dans cette croisade européaniste aux côtés d’Alexandre Marc. Né Lipiansky à Odessa en 1904, ce théoricien du fédéralisme a croisé la trajectoire de Frenay à Lyon en 1941, puis après-guerre. A rebours de l’européanisme de droite inspiré des thèses monarchistes maurrassiennes ou du catholicisme social, les deux amis s’efforcent de gauchir le fédéralisme français alors fort de » plusieurs dizaines de milliers d’adhérents « , ainsi que me l’assurera l’ancien chef de Combat en 1988.
Orientée à gauche, l’Union européenne des fédéralistes, l’UEF, est créée fin 1946. Elle va tenir son propre congrès à Rome en septembre 1948. Frenay en devient le président du bureau exécutif, flanqué de l’ex-communiste italien Altiero Spinelli, prisonnier de Mussolini entre 1927 et 1937 puis assigné à résidence, et de l’Autrichien Eugen Kogon, victime, lui, du système concentrationnaire nazi qu’il décortiquera dans L’Etat SS (Le Seuil, rééd. 1993). A ces trois dirigeants d’atténuer le profond malaise né de la participation de nombreux membres de l’UEF au congrès de La Haye, o๠Churchill et son gendre Sandys les ont littéralement roulés dans leur farine » unioniste « .
Faut-il choisir entre le Vieux Lion et le pionnier de la Résistance intérieure française à l’internationalisme si radical ? Perplexité au Comité, donc à la CIA. Pour Churchill, sa stature d’homme d’Etat, d’allié de la guerre, sa préférence affichée pour le » grand large « , les Etats-Unis ; contre, son refus acharné du modèle fédéraliste si cher aux européanistes américains et bientôt, ses violentes querelles avec le très atlantiste Spaak. En mars 1949, Churchill rencontre Donovan à Washington.
En juin, il lui écrit pour solliciter le versement de fonds d’urgence (très riche à titre personnel, l’ancien Premier ministre britannique n’entend pas puiser dans sa propre bourse). Quelques jours plus tard, Sandys appuie par courrier la demande de son beau-père : de l’argent, vite, sinon le Mouvement européen de Churchill s’effondre. Comité et CIA, la principale bailleuse de fonds, débloquent alors une première tranche équivalant à un peu moins de 2 millions de nos euros.
Elle permettra de » préparer » les premières réunions du Conseil de l’Europe de Strasbourg, qui associe une assemblée consultative sans pouvoir réel à un comité des ministres statuant, lui, à l’unanimité.
Pour soutenir leurs partenaires du Vieux Continent, ACUE et CIA montent dès lors des circuits financiers complexes. Les dollars de l’oncle Sam – l’équivalent de 5 millions d’euros entre 1949 et 1951, le méme montant annuel par la suite – proviennent pour l’essentiel de fonds alloués spécialement à la CIA par le Département d’Etat. Ils seront d’abord répartis sous le manteau par les chefs du Mouvement européen : Churchill, son gendre, le secrétaire général Joseph Retinger, et le trésorier Edward Beddington-Behrens. En octobre 1951, le retour de Churchill à Downing Street, résidence des premiers ministres anglais, ne tarira pas ce flot : entre 1949 et 1953, la CIA va en effet verser aux unionistes l’équivalent de plus de 15 millions d’euros, à charge pour eux d’en redistribuer une partie à leurs rivaux de la Fédération, la tendance de droite du fédéralisme français, laquelle reverse ensuite sa quote-part à l’UEF.
Sommes substantielles mais sans commune mesure avec la manne que l’appareil stalinien international, le Kominform, investit au méme moment dans le financement souterrain des PC nationaux et des innombrables » fronts de masse » : Fédération syndicale mondiale de Prague, Mouvement de la paix, mouvements de jeunes, d’étudiants, de femmes…
Pour Frenay, c’est clair : l’Europe fédérale constitue désormais le seul bouclier efficace contre l’expansionnisme communiste.
Mais comment aller de l’avant quand le nerf de la guerre manque si cruellement ? L’UEF n’est pas riche. Son président encore moins, dont la probité est reconnue de tous – après son passage au ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, Frenay, ancien officier de carrière sans fortune personnelle, a quitté l’armée au titre de la loi Diethelm de dégagement des cadres.
Comme au temps de » l’affaire suisse « , le salut financier viendra-t-il de l’allié américain ? Oui, assurent dès l’été 1950 les hommes de l’ACUE à un représentant français de l’UEF en visite à New York. Conforme à la position officielle du gouvernement américain en faveur de l’intégration européenne, leur aide ne sera soumise à aucune contrepartie politique ou autre, conditionsine qua non aux yeux d’Henri Frenay. Et de fait, à partir de novembre 1950, l’ACUE va financer secrètement à hauteur de 600 000 euros l’une des initiatives majeures de Frenay et des fédéralistes de gauche : la création à Strasbourg, en parallèle du très officiel Conseil de l’Europe, d’un Congrès des peuples européens, aussi appelé Comité européen de vigilance.
S’associeront à ce projet des socialistes (Edouard Depreux), des religieux (le père Chaillet, fondateur de Témoignage chrétien ), des syndicalistes, des militants du secteur coopératif, des représentants du patronat et méme… des gaullistes tels Michel Debré ou Jacques Chaban-Delmas. Mal conçue médiatiquement, l’affaire échoue de peu. Raison de plus pour accentuer le soutien financier, oeuvre du secrétaire général de l’ACUE, Thomas Braden. Connu pour ses opinions libérales, cet ami du peintre Jackson Pollock, n’a pas hésité quand Donovan, son ancien patron à l’OSS, lui a demandé de quitter la direction du musée d’Art moderne de New York.
En juillet 1951, Frenay effectue à son tour le voyage des Etats-Unis sous les auspices du Congrès pour la liberté de la culture – une organisation que nous retrouverons bientôt. L’occasion de rencontrer les dirigeants du Comité et ceux de la Fondation Ford (mais pas ceux de la CIA avec lesquels il n’entretiendra jamais de rapports directs) pour leur faire part des besoins matériels des fédéralistes. Message reçu » 5 sur 5 » par les Américains…
A cette date, Braden ne figure plus parmi les dirigeants officiels de l’ACUE. En vertu du principe des vases communicants, l’agent secret esthète vient en effet de rejoindre Dulles à la CIA. Les deux hommes partagent cette idée de bon sens : face aux communistes, ce ne sont pas les milieux conservateurs qu’il faut convaincre, mais la gauche antistalinienne européenne, dont Frenay constitue un des meilleurs représentants. Braden va plus loin : » Comme l’adversaire rassemblé au sein du Kominform, structurons-nous au plan mondial par grands secteurs d’activité : intellectuels, jeunes, syndicalistes réformistes, gauche modérée… « , plaide-t-il.
D’accord, répond Dulles. Naît ainsi la Division des organisations internationales de la CIA. Dirigée par Braden, cette direction centralise, entre autres, l’aide de la Compagnie via l’ACUE aux fédéralistes européens. En 1952, l’American Committee for United Europe finance ainsi l’éphémère Comité d’initiative pour l’assemblée constituante européenne, dont Spaak sera président et Frenay, le secrétaire général.
Brouillés avec la » Fédération « , leur rivale de droite qui servait jusque-là d’intermédiaire pour le versement des fonds CIA-ACUE par le truchement du mouvement churchillien, les amis de Frenay sont très vite au bord de l’asphyxie
Pour parer à l’urgence, Braden, virtuose du financement souterrain au travers de fondations privées plus ou moins bidon, va, cette fois, mettre en place une procédure de versements directs aux fédéralistes de gauche par des antennes para-gouvernementales américaines. A Paris, plaque tournante des opérations de la CIA en Europe avec Francfort, on opérera par le biais de l’Office of Special Representative, conçu à l’origine pour servir d’interface avec la toute jeune Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), ou de l’US Information Service (USIS). Par la suite, un bureau ACUE proprement dit sera ouvert.
Comme Jean Monnet, président de la Ceca, Frenay caresse, en cette année 1952, l’idée d’une armée européenne, pas décisif vers l’Europe politique selon lui. L’ACUE approuve chaudement. Prévue par le traité de Londres de mars 1952, cette Communauté européenne de défense comprendrait – c’est le point le plus épineux -, des contingents allemands. Reste à faire ratifier le traité par les parlements nationaux. Frenay s’engage avec enthousiasme dans ce nouveau combat. Pour se heurter, une fois encore, à de Gaulle, qui refuse la CED au nom de la souveraineté nationale et, déjà , du projet ultrasecret de force atomique française, ainsi qu’aux communistes, hostiles par principe à tout ce qui contrarie Moscou.
D’après les éléments recueillis par Robert Belot – dont la biographie du chef de Combat devrait sortir ce printemps au Seuil -, Frenay demandera méme à l’ACUE de financer l’édition d’une brochure réfutant… les thèses gaullistes sur la CED.
Staline meurt en mars 1953. L’année suivante, Cord Meyer Jr, un proche de la famille Kennedy, remplace Braden à la téte de la Division des organisations internationales de la CIA. Mais 1954 verra surtout cet échec cuisant des européanistes : l’enterrement définitif de la CED. Découragé, Frenay abandonne alors la présidence de l’Union européenne des fédéralistes. A partir d’octobre 1955, les » amis américains » reportent donc leurs espoirs sur un nouveau venu, le Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe de Jean Monnet.
Lié à Donovan et surtout à l’ambassadeur américain à Paris, David Bruce, un proche de Franck Wisner, Monnet est trop fin connaisseur du monde anglo-saxon pour accepter directement les dollars de la CIA. Compte tenu de sa prudence de Sioux, l’aide américaine à son courant européaniste devra emprunter d’autres voies.
En 1956, Monnet se voit ainsi proposer l’équivalent de 150 000 euros par la Fondation Ford. Une offre qu’il décline, préférant que cet argent soit versé au professeur Henri Rieben, un économiste et universitaire suisse pro-européen qui vient d’étre nommé chargé de mission aux Hautes Etudes commerciales de Lausanne. Rieben utilisera ces fonds en toute transparence financière pour créer un Centre de recherches européen.
En 1958, le retour du général de Gaulle, radicalement hostile aux thèses fédéralistes, annihile les derniers espoirs de l’UEF et de ses amis américains. Dissolution de l’ACUE dès mai 1960 puis cessation des financements occultes par la CIA s’ensuivent. En douze ans, la Compagnie aura quand méme versé aux européanistes de toutes tendances l’équivalent de 50 millions d’euros sans étre jamais prise la main dans le sac ! Mais pourra-t-on préserver longtemps le grand secret ?
La première alerte éclate dès 1962. Trop précise sur les financements américains, une thèse universitaire sur les mouvements européanistes doit étre » enterrée » d’urgence en Angleterre. Ce remarquable travail est l’oeuvre du fils d’un camarade de résistance de Frenay, Georges Rebattet, créateur en avril 1943 du Service national maquis. Georges Rebattet, le successeur en 1952 de Joseph Retinger comme secrétaire général d’un Mouvement européen dont il a d’ailleurs assaini pour une bonne part le financement.
Deuxième secousse au milieu des années 1960. L’étau de la presse américaine (le New York Times et la revue gauchiste Ramparts ) se resserre sur une des filiales du » trust » Braden-Meyer, le Congrès pour la liberté de la culture o๠se côtoyaient des intellectuels antitotalitaires européens de haute volée – Denis de Rougemont, Manhès Sperber, Franz Borkenau, Ignazio Silone, Arthur Koestler ou, par éclipses, Malraux et Raymond Aron. Financé par la CIA au travers de la Fondation Fairfield, le Congrès édite en français l’une de ses revues les plus prestigieuses, Preuves . Jouant la transparence, Braden jette alors son pavé dans la mare. » Je suis fier que la CIA soit immorale « , déclare-t-il en 1967 au journal britannique Saturday Evening Post , auquel il confie des révélations sensationnelles sur le financement occulte par la CIA du Congrès pour la liberté et sur le rôle d’Irving Brown dans les milieux syndicaux. Silence radio, en revanche, sur le soutien aux mouvements européanistes, le secret des secrets…
Ultime rebondissement à partir de juin 1970, quand le conservateur anglais pro-européen Edward Heath arrive à Downing Street. A sa demande, l’Information Research Department lance une vaste campagne pour populariser sous le manteau l’européanisme dans les médias et les milieux politiques britanniques. En 1973, l’Angleterre fait son entrée dans le Marché commun ; le 5 juin 1975, 67,2 % des électeurs britanniques ratifient la décision par référendum
Dans ce renversement de tendance en faveur de l’Europe, un homme s’est jeté à corps perdu : nul autre que le chef de la station de la CIA de Londres, Cord Meyer Jr. Ce bon vieux Cord qui remplaçait vingt ans plus tôt son copain Braden à la téte de la Division des organisations internationales de la Compagnie.
Par Rémi Kauffer *
http://vilistia.com/EUROPLOUF!/2011/10/26/la-cia-finance-la-construction-europeenne/#more-233
Des fédéralistes européens financés par des chefs de l’espionnage américain
Ambrose Evans-Prichard – Bruxelles
Daily Telegraph, le 19 septembre 2000
Des documents déclassifiés du gouvernement américain montrent que la communauté du renseignement des États-Unis a mené une campagne dans les années 1950 et 1960 pour favoriser l’unification de l’Europe. Celle-ci finança et dirigea le Mouvement fédéraliste européen.
Les documents confirment des soupçons émis à l’époque : en coulisse, l’Amérique travaillait avec acharnement à pousser la Grande-Bretagne à s’intégrer à un État européen. Un memorandum, daté du 26 juillet 1950, donne des instructions pour une campagne visant à promouvoir un véritable parlement européen. Il est signé par le Général William J. Donovan, chef du Bureau américain des services stratégiques en temps de guerre (OSS), l’ancêtre de la CIA.
Certains de ces documents, découverts par Joshua Paul, chercheur à l’Université de Georgetown à Washington, avaient été mis à disposition par les Archives nationales américaines. Le principal levier de Washington sur l’ordre du jour européen était le Comité Américain pour une Europe Unie (ACUE : American Committee on United Europe), créé en 1948. Donovan, qui se présentait alors comme un avocat en droit privé, en était le président.
Le vice-président, Allen Dulles, était le directeur de la CIA pendant les années 1950. Le comité comptait parmi ses membres Walter Bedell Smith, le premier directeur de la CIA, ainsi que d’anciennes personnalités et des responsables de l’OSS qui travaillaient par intermittence pour la CIA. Les documents montrent que l’ACUE a financé le Mouvement européen, l’organisation fédéraliste la plus importante d’après-guerre. En 1958, par exemple, l’ACUE a assuré 53,5 % du financement du mouvement.
L’European Youth Campaign, une branche du Mouvement européen, était entièrement financée et contrôlée par Washington. Son directeur belge, le Baron Boel, recevait des versements mensuels sur un compte spécial. Lorsqu’il était à la tête du Mouvement européen, Joseph Retinger, d’origine polonaise, avait essayé de mettre un frein à une telle mainmise et de lever des fonds en Europe ; il fut rapidement réprimandé.
Les dirigeants du Mouvement européen – Retinger, le visionnaire Robert Schuman et l’ancien premier ministre belge, Paul-Henri Spaak – étaient tous traités comme des employés par leurs parrains américains. Le rôle des États-Unis fut tenu secret. L’argent de l’ACUE provenait des fondations Ford et Rockefeller, ainsi que de milieux d’affaires ayant des liens étroits avec le gouvernement américain.
Paul Hoffman, directeur de la Fondation Ford et ex-officier de l’OSS, fut également à la tête de l’ACUE à la fin des années 1950. Le Département d’État y jouait aussi un rôle. Une note émanant de la Direction Europe, datée du 11 juin 1965, conseille au vice-président de la Communauté Économique Européenne, Robert Marjolin, de poursuivre de façon subreptice l’objectif d’une union monétaire.
Elle recommande d’empêcher tout débat jusqu’au moment où « l’adoption de telles propositions serait devenue pratiquement inévitable ».
Traduit de l’anglais par Laurent Dauré.
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Article original : Euro-federalists financed by US spy chiefs
By Ambrose Evans-Pritchard in Brussels
12:00AM BST 19 Sep 2000
DECLASSIFIED American government documents show that the US intelligence community ran a campaign in the Fifties and Sixties to build momentum for a united Europe. It funded and directed the European federalist movement.
The documents confirm suspicions voiced at the time that America was working aggressively behind the scenes to push Britain into a European state. One memorandum, dated July 26, 1950, gives instructions for a campaign to promote a fully fledged European parliament. It is signed by Gen William J Donovan, head of the American wartime Office of Strategic Services, precursor of the CIA.
The documents were found by Joshua Paul, a researcher at Georgetown University in Washington. They include files released by the US National Archives. Washington’s main tool for shaping the European agenda was the American Committee for a United Europe, created in 1948. The chairman was Donovan, ostensibly a private lawyer by then.
The vice-chairman was Allen Dulles, the CIA director in the Fifties. The board included Walter Bedell Smith, the CIA’s first director, and a roster of ex-OSS figures and officials who moved in and out of the CIA. The documents show that ACUE financed the European Movement, the most important federalist organisation in the post-war years. In 1958, for example, it provided 53.5 per cent of the movement’s funds.
The European Youth Campaign, an arm of the European Movement, was wholly funded and controlled by Washington. The Belgian director, Baron Boel, received monthly payments into a special account. When the head of the European Movement, Polish-born Joseph Retinger, bridled at this degree of American control and tried to raise money in Europe, he was quickly reprimanded.
The leaders of the European Movement – Retinger, the visionary Robert Schuman and the former Belgian prime minister Paul-Henri Spaak – were all treated as hired hands by their American sponsors. The US role was handled as a covert operation. ACUE’s funding came from the Ford and Rockefeller foundations as well as business groups with close ties to the US government.
The head of the Ford Foundation, ex-OSS officer Paul Hoffman, doubled as head of ACUE in the late Fifties. The State Department also played a role. A memo from the European section, dated June 11, 1965, advises the vice-president of the European Economic Community, Robert Marjolin, to pursue monetary union by stealth.
It recommends suppressing debate until the point at which « adoption of such proposals would become virtually inescapable ».
http://www.u-p-r.fr/actualite/europe/des-federalistes-europeens-finances-par-des-chefs-de-lespionnage-americain
Revue Historia
Comme certains d’entre vous le savent, il fut un temps où je me suis rendu sur Wikipédia pour y modifier les fiches de Robert Schuman, Paul Henri Spaak, et Retinger pour expliquer qu’ils étaient financés par les services secrets américains, dans le but de pousser à l’intégration Européenne.
Or la dernière fois que je me suis rendu sur la page de M. Schuman, pour y chercher une information : Horreur ! La fiche a été modifiée, et la mention « Controverse » que j’avais ajouté avait disparu !
Raison invoquée : L’article du Daily Telegraph, signé par le Grand Reporter Ambrose Evans Pritchard ne serait pas assez sourcé, pas assez fiable. Qu’à cela ne tienne, j’ai appelé certains amis à l’aide, pour réussir à trouver les pièces déclassifiées, et avoir enfin le fin mot de l’histoire. Impossible. On n’y arrive pas, jusqu’à ce que l’équipe UPR déniche un texte, assez savoureux, et dont la source n’est autre que la revue Historia.
Nous reproduisons ici cet article très intéressant de Rémi Kauffer datant de 2003 (source : http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=6744). Bonne lecture :)
La CIA finance la construction européenne
01/03/2003 – 675
De 1949 à 1959, en pleine guerre froide, les Américains, par l’intermédiaire de leurs services secrets et du Comité pour l’Europe unie, versent l’équivalent de 50 millions de dollars actuels à tous les mouvements pro-européens, parmi lesquels ceux du Britannique Winston Churchill ou du Français Henri Frenay. Leur but, contenir la poussée soviétique…
A 82 ans, Henri Frenay, le pionnier de la Résistance intérieure, fondateur du mouvement Combat, arbore une forme intellectuelle éblouissante malgré sa surdité de l’oreille droite et sa récente opération de l’estomac. Pourtant, il n’a plus que trois mois à vivre. En ces jours de mai 1988, il me parle de l’Europe dans son appartement de Boulogne-sur-Seine.
De cette Europe fédérale dont il a révé en vain entre 1948-1954. De la dette aussi que, en cas de succès, le Vieux Continent aurait contracté envers les Américains, ceux notamment du » Comité « . Et d’insister une fois, deux fois, dix fois, tandis que moi, je m’interroge : pourquoi diable ce mystérieux » Comité » revient-il à une telle fréquence dans nos conversations ? Pourquoi ?
Mais parce que Frenay me confie, avec il est vrai d’infinies précautions de langage, son ultime secret : l’aide financière occulte de la CIA via l’American Committee for United Europe – le Comité – à l’Union européenne des fédéralistes dont il a été le président. Pour reconstituer cette filière inédite, il me faudra une quinzaine d’années.
Un jeu qui en valait la chandelle puisqu’il me permet d’ouvrir, pour les lecteurs d’ Historia, la porte d’un des compartiments les plus secrets de la guerre froide…
Tout commence à l’automne 1948. Déjà coupée en deux, l’Europe vit sous la menace d’une invasion totale par l’armée rouge. Au » coup de Prague » en février, vient de succéder en juin le blocus de Berlin. Un petit cénacle de personnalités de l’ombre jette alors les bases de l’American Committee for United Europe, l’ACUE – son existence sera officialisée le 5 janvier 1949 à la maison de la Fondation Woodrow-Wilson de New York. Politiques, juristes, banquiers, syndicalistes vont se méler au sein de son conseil de direction.
De hautes figures gouvernementales aussi comme Robert Paterson, le secrétaire à la Guerre ; James Webb, le directeur du budget ; Paul Hoffman, le chef de l’administration du plan Marshall ; ou Lucius Clay, le » proconsul » de la zone d’occupation américaine en Allemagne.
Bien tranquilles, ces Américains-là ? Non, car la véritable ossature de l’ACUE est constituée d’hommes des services secrets. Prenez son président, William Donovan. Né en 1883 à Buffalo, cet avocat irlando-américain au physique de bouledogue, surnommé » Wild Bill » par ses amis, connaît bien l’Europe. En 1915, il y remplissait déjà une mission humanitaire pour le compte de la Fondation Rockefeller. Deux ans plus tard, Donovan retrouvait le Vieux Continent pour y faire, cette fois, une Grande Guerre magnifique. Redevenu civil, » Wild Bill » va se muer en missus dominicus du gouvernement américain.
Ses pas d’émissaire officieux le portent vers l’Europe pour des rencontres parfois imprévues. En janvier 1923, alors qu’ils goà»tent un repos bien mérité, sa femme Ruth et lui devront ainsi subir une soirée entière les vociférations d’un autre habitué de la pension Moritz de Berchtesgaden. Dix-sept ans plus tard, l’agité, un certain Adolf Hitler, s’est rendu maître de la partie continentale de l’Europe, et c’est » Wild Bill » que Franklin Roosevelt, inquiet, dépéche à Londres s’enquérir auprès de Winston Churchill du potentiel britannique face à l’avancée nazie.
En juin 1942, Donovan, homme de confiance du président démocrate pour les affaires spéciales, crée l’Office of Strategic Services (OSS), le service secret américain du temps de la Seconde Guerre mondiale dont il devient le chef et qu’il quittera à sa dissolution, en septembre 1945, sans perdre le contact avec l’univers du renseignement : » Wild Bill » tisse des liens privilégiés avec la Central Intelligence Agency, la CIA, créée officiellement le 15 septembre 1947 par une loi sur la sécurité nationale signée par le successeur de Roosevelt, Harry Truman.
Prenez le vice-président de l’ACUE Walter Bedell Smith, ancien chef d’état-major d’Eisenhower pendant la Seconde Guerre mondiale puis ambassadeur des Etats-Unis à Moscou. A partir d’octobre 1950, celui que ses amis surnomment le » Scarabée » ( beetleen anglais) va prendre les commandes de la CIA. 1950, c’est justement l’année o๠des universitaires comme Frederick Burkhardt et surtout William Langer, historien à Harvard, lancent la section culturelle de l’ACUE.
deux proches de Donovan ont servi autrefois dans les rangs de l’OSS. Langer en a dirigé le service Recherche et Analyse et, excellent connaisseur de la politique française, a méme commis après-guerre un ouvrage savant qui s’efforçait de dédouaner Le Jeu américain à Vichy (Plon, 1948).
Prenez surtout Allen Dulles. A l’été 1948, c’est lui qui a » inventé » le Comité avec Duncan Sandys, le gendre de Churchill, et George Franklin, un diplomate américain. Principal associé du cabinet de juristes Sullivan & Cromwell, Dulles n’impressionne guère de prime abord avec ses fines lunettes, ses éternelles pipes de bruyère et ses vestes en tweed. Sauf qu’avec ce quinquagénaire, un maître espion entre dans la danse.
Retour à la case Seconde Guerre mondiale. Chef de l’OSS à Berne, Dulles noue en février 1943 des contacts avec la délégation de Combat en Suisse. Un temps, il assurera méme le financement du mouvement clandestin. » Coup de poignard dans le dos du général de Gaulle « , s’insurge Jean Moulin au nom de la France libre.
» Survie de la Résistance intérieure menacée d’étranglement financier « , rétorque Frenay.
Pensant d’abord à ses camarades dénués de moyens, aux maquisards en danger, il ne voit pas pourquoi Combat devrait se priver d’un argent allié versé, c’est convenu, sans contrepartie politique. Cette » affaire suisse » va empoisonner un peu plus encore ses rapports avec Moulin.
En 1946, Dulles démissionne des services secrets… pour en devenir aussitôt l’éminence grise, prenant une part prépondérante à la rédaction du texte de loi présidentiel sur la sécurité nationale. Cofondateur à ce titre de la CIA (pour les initiés : l’Agence ou mieux, la Compagnie), Dulles pense qu’en matière d’action clandestine, privé et public doivent conjuguer leurs forces. C’est lui qui a déjà inspiré, par l’intermédiaire de ses amis du Brook Club de New York, le versement des subsides de grosses sociétés américaines à la démocratie chrétienne italienne menacée par un parti communiste surpuissant.
En 1950, il va reprendre officiellement du service comme bras droit du Scarabée d’abord, comme son successeur à la téte de la CIA ensuite – de février 1953 à septembre 1961. Record de longévité d’autant plus impressionnant que son frère aîné John Forster Dulles, restera, lui, ministre des Affaires étrangères de 1953 à sa mort de maladie en mai 1959.
Etonnant creuset que l’ACUE, o๠des personnalités de la haute société et/ou de la CIA côtoient les dirigeants de la puissante centrale syndicale American Federation of Labor, l’AFL, dont ils partagent l’aversion du communisme. Exemples : David Dubinsky, né en 1892 à Brest-Litovsk, en Russie, dirige le Syndicat international de la confection pour dames (ILGWU) : 45 000 adhérents à son arrivée en 1932, 200 000 à la fin des années 1940 ! Ennemi acharné des nazis hier (les syndicalistes proches de l’ACUE sont presque tous juifs), c’est aux commies , les » cocos « , qu’il en veut dorénavant.
Jay Lovestone aussi. Conseiller politique de l’AFL, ce Lituanien d’origine sait de quoi il parle : avant sa brutale exclusion puis sa lente rupture avec le marxisme, il fut, entre 1925 et 1929, le secrétaire général du PC américain ! Autre recrue de choix du Comité, Arthur Goldberg, le meilleur juriste de l’AFL. Futur secrétaire au Travail du président Kennedy puis juge à la Cour supréme, Goldberg, né en 1908, a dirigé l’aile syndicale de l’OSS. A ce titre, il fut en son temps le supérieur hiérarchique d’Irving Brown, son cadet de deux ans. Brown, représentant de l’AFL pour l’Europe et grand dispensateur de dollars aux syndicalistes modérés du Vieux Continent
Puisant dans les fonds secrets de la toute jeune CIA, laquelle finance depuis 1946 toutes les opérations anticommunistes de l’AFL, ce dur à cuire ne ménage pas, par exemple, son soutien à Force ouvrière, la centrale syndicale née fin 1947 de la scission de la CGT (lire » Derrière Force ouvrière, Brown, l’ami américain » dans Historia n° 621 de décembre 1997). Pure et dure, la ligne Brown contraste d’ailleurs avec celle, plus nuancée, de la CIA.
A la Compagnie, on aurait préféré que les non-communistes restent dans le giron de la CGT, méme contrôlée par le PCF…
C’est qu’au-delà des hommes, il y a la stratégie d’ensemble. Face à l’Union soviétique, Washington développe deux concepts clés : le containment (l’endiguement) et plan Marshall. L’idée du containment , revient à un diplomate russophone, George Kennan, qui la développe dès juillet 1947 dans un article de la revue Foreign Affairs : » L’élément majeur de la politique des Etats-Unis en direction de l’Union soviétique doit étre celui d’un endiguement à long terme, patient mais ferme, des tendances expansionnistes russes. «
Le plan Marshall, lui, porte la marque de son inventeur le général George Marshall, chef d’état-major de l’US Army pendant la guerre, et désormais ministre des Affaires étrangères du président Truman. En apportant une aide massive aux pays d’Europe ruinés, les Etats-Unis doivent, selon lui, faire coup double : un, couper l’herbe sous le pied des partis communistes par une hausse rapide du niveau de vie dans les pays concernés ; deux, empécher leur propre industrie de sombrer dans la dépression en lui ouvrant de nouveaux marchés.
Pour le tandem Marshall-Kennan, pas de meilleur outil que la CIA (lire l’interview d’Alexis Debat, page 51). Et c’est naturellement un autre ancien de l’OSS, Franck Wisner Jr, qu’on charge de mettre sur pied un département autonome spécialisé dans la guerre psychologique, intellectuelle et idéologique, l’Office of Policy Coordination ! Si ce bon vieux » Wiz » ne fait pas partie du Comité, ses hommes vont lui fournir toute la logistique nécessaire. Mais chut ! c’est top secret…
L’ACUE allie sans complexe une certaine forme de messianisme américain avec le souci de la défense bien comprise des intéréts des Etats-Unis. Messianique, cette volonté bien ancrée de mettre le Vieux Continent à l’école du Nouveau Monde. Phare de la liberté menacée, l’Amérique a trouvé, la première, la voie d’une fédération d’Etats, succès si resplendissant que l’Europe n’a plus qu’à l’imiter…
Cet européanisme made in Washington comporte sa part de sincérité : » Ils m’appellent le père du renseignement centralisé, mais je préférerais qu’on se souvienne de moi à cause de ma contribution à l’unification de l’Europe « , soupire ainsi Donovan en octobre 1952.
De sa part de calcul aussi. Car en décembre 1956, trois mois avant sa mort, le méme Donovan présentera l’Europe unie comme » un rempart contre les menées agressives du monde communiste « . En d’autres termes, un atout supplémentaire de la stratégie américaine conçue par Marshall, Kennan et leurs successeurs : construire l’Europe, c’est remplir un vide continental qui ne profite qu’à Staline, donc, en dernier ressort, protéger les Etats-Unis.
Ajoutons une troisième dimension. Dans l’esprit des hommes de la Compagnie, rien de plus noble qu’une action clandestine au service de la liberté. Tout officier de la CIA le sait : les Etats-Unis sont nés pour une bonne part du soutien des agents de Louis XVI, Beaumarchais en téte, aux insurgés nord-américains. Ainsi l’opération American Committee, la plus importante, et de loin menée, par l’Agence en Europe pendant la guerre froide, se trouve-t-elle justifiée par l’Histoire.
Pour chaleureuse qu’elle soit, l’amitié franco-américaine ne saurait toutefois distendre le » lien spécial » entre Grande-Bretagne et Etats-Unis. En foi de quoi, Comité et Compagnie tournent d’abord leur regard vers Londres. Hélas ! Churchill, battu aux législatives de 1945, ronge ses griffes dans l’opposition. Le nouveau secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, Ernest Bevin, a bien proclamé le 2 janvier 1948 aux Communes : » Les nations libres d’Europe doivent maintenant se réunir. «
N’empéche que ses collègues du cabinet travailliste et lui repoussent avec horreur la perspective d’une véritable intégration continentale. Non pas que Bevin craigne de s’affronter aux communistes : deux jours après son discours de janvier, il créait un organisme clandestin de guerre idéologique, l’Information Research Department. Ce méme IRD qui, jugeant La Ferme des animaux et1984 plus efficaces que mille brochures de propagande, va contribuer à diffuser partout dans le monde les oeuvres de George Orwell. Mais la carte Europe unie, alors là , non !
Cette carte, Churchill la joue-t-il de son côté par conviction profonde ou par aversion pour ses rivaux politiques de gauche ? Le fait est que le 19 septembre 1946 à Zurich, le Vieux Lion appelle à un axe anglo-franco-allemand, élément majeur selon lui d’une » espèce d’Etats unis d’Europe « . Qu’en mai 1948, Duncan Sandys, taille aux mesures de son homme d’Etat de beau-père le Congrès européaniste de La Haye.
Qu’en octobre 1948, Churchill crée l’United European Movement – le Mouvement européen. Qu’il en devient président d’honneur aux côtés de deux démocrates-chrétiens, l’Italien Alcide De Gasperi et l’Allemand Konrad Adenauer, et de deux socialistes, le Français Léon Blum et le Belge Paul-Henri Spaak. Malheureusement pour les » amis américains « , cette tendance » unioniste » ne propose, à l’exception notable de Spaak, que des objectifs européens limités. Reconstruction économique et politique sur une base démocratique, d’accord, mais sans transfert, méme partiel, de souveraineté.
Le Comité et la tendance » fédéraliste « , dont Henri Frenay émerge comme la figure emblématique, veulent, eux, aller beaucoup plus loin. Aux heures les plus noires de la Seconde Guerre mondiale, Frenay, patriote mondialiste, a conçu l’idée d’un Vieux Continent unifié sur une base supranationale.
En novembre 1942, révélera quarante ans plus tard Robert Belot dans le remarquable travail sur Frenay qui vient de lui valoir l’habilitation à diriger des recherches à l’Université, le chef de Combat écrivait au général de Gaulle qu’il faudrait dépasser l’idée d’Etat-Nation, se réconcilier avec l’Allemagne après-guerre et construire une Europe fédérale.
Logique avec lui-méme, Frenay se jette dès 1946 dans cette croisade européaniste aux côtés d’Alexandre Marc. Né Lipiansky à Odessa en 1904, ce théoricien du fédéralisme a croisé la trajectoire de Frenay à Lyon en 1941, puis après-guerre. A rebours de l’européanisme de droite inspiré des thèses monarchistes maurrassiennes ou du catholicisme social, les deux amis s’efforcent de gauchir le fédéralisme français alors fort de » plusieurs dizaines de milliers d’adhérents « , ainsi que me l’assurera l’ancien chef de Combat en 1988.
Orientée à gauche, l’Union européenne des fédéralistes, l’UEF, est créée fin 1946. Elle va tenir son propre congrès à Rome en septembre 1948. Frenay en devient le président du bureau exécutif, flanqué de l’ex-communiste italien Altiero Spinelli, prisonnier de Mussolini entre 1927 et 1937 puis assigné à résidence, et de l’Autrichien Eugen Kogon, victime, lui, du système concentrationnaire nazi qu’il décortiquera dans L’Etat SS (Le Seuil, rééd. 1993). A ces trois dirigeants d’atténuer le profond malaise né de la participation de nombreux membres de l’UEF au congrès de La Haye, o๠Churchill et son gendre Sandys les ont littéralement roulés dans leur farine » unioniste « .
Faut-il choisir entre le Vieux Lion et le pionnier de la Résistance intérieure française à l’internationalisme si radical ? Perplexité au Comité, donc à la CIA. Pour Churchill, sa stature d’homme d’Etat, d’allié de la guerre, sa préférence affichée pour le » grand large « , les Etats-Unis ; contre, son refus acharné du modèle fédéraliste si cher aux européanistes américains et bientôt, ses violentes querelles avec le très atlantiste Spaak. En mars 1949, Churchill rencontre Donovan à Washington.
En juin, il lui écrit pour solliciter le versement de fonds d’urgence (très riche à titre personnel, l’ancien Premier ministre britannique n’entend pas puiser dans sa propre bourse). Quelques jours plus tard, Sandys appuie par courrier la demande de son beau-père : de l’argent, vite, sinon le Mouvement européen de Churchill s’effondre. Comité et CIA, la principale bailleuse de fonds, débloquent alors une première tranche équivalant à un peu moins de 2 millions de nos euros.
Elle permettra de » préparer » les premières réunions du Conseil de l’Europe de Strasbourg, qui associe une assemblée consultative sans pouvoir réel à un comité des ministres statuant, lui, à l’unanimité.
Pour soutenir leurs partenaires du Vieux Continent, ACUE et CIA montent dès lors des circuits financiers complexes. Les dollars de l’oncle Sam – l’équivalent de 5 millions d’euros entre 1949 et 1951, le méme montant annuel par la suite – proviennent pour l’essentiel de fonds alloués spécialement à la CIA par le Département d’Etat. Ils seront d’abord répartis sous le manteau par les chefs du Mouvement européen : Churchill, son gendre, le secrétaire général Joseph Retinger, et le trésorier Edward Beddington-Behrens. En octobre 1951, le retour de Churchill à Downing Street, résidence des premiers ministres anglais, ne tarira pas ce flot : entre 1949 et 1953, la CIA va en effet verser aux unionistes l’équivalent de plus de 15 millions d’euros, à charge pour eux d’en redistribuer une partie à leurs rivaux de la Fédération, la tendance de droite du fédéralisme français, laquelle reverse ensuite sa quote-part à l’UEF.
Sommes substantielles mais sans commune mesure avec la manne que l’appareil stalinien international, le Kominform, investit au méme moment dans le financement souterrain des PC nationaux et des innombrables » fronts de masse » : Fédération syndicale mondiale de Prague, Mouvement de la paix, mouvements de jeunes, d’étudiants, de femmes…
Pour Frenay, c’est clair : l’Europe fédérale constitue désormais le seul bouclier efficace contre l’expansionnisme communiste.
Mais comment aller de l’avant quand le nerf de la guerre manque si cruellement ? L’UEF n’est pas riche. Son président encore moins, dont la probité est reconnue de tous – après son passage au ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, Frenay, ancien officier de carrière sans fortune personnelle, a quitté l’armée au titre de la loi Diethelm de dégagement des cadres.
Comme au temps de » l’affaire suisse « , le salut financier viendra-t-il de l’allié américain ? Oui, assurent dès l’été 1950 les hommes de l’ACUE à un représentant français de l’UEF en visite à New York. Conforme à la position officielle du gouvernement américain en faveur de l’intégration européenne, leur aide ne sera soumise à aucune contrepartie politique ou autre, conditionsine qua non aux yeux d’Henri Frenay. Et de fait, à partir de novembre 1950, l’ACUE va financer secrètement à hauteur de 600 000 euros l’une des initiatives majeures de Frenay et des fédéralistes de gauche : la création à Strasbourg, en parallèle du très officiel Conseil de l’Europe, d’un Congrès des peuples européens, aussi appelé Comité européen de vigilance.
S’associeront à ce projet des socialistes (Edouard Depreux), des religieux (le père Chaillet, fondateur de Témoignage chrétien ), des syndicalistes, des militants du secteur coopératif, des représentants du patronat et méme… des gaullistes tels Michel Debré ou Jacques Chaban-Delmas. Mal conçue médiatiquement, l’affaire échoue de peu. Raison de plus pour accentuer le soutien financier, oeuvre du secrétaire général de l’ACUE, Thomas Braden. Connu pour ses opinions libérales, cet ami du peintre Jackson Pollock, n’a pas hésité quand Donovan, son ancien patron à l’OSS, lui a demandé de quitter la direction du musée d’Art moderne de New York.
En juillet 1951, Frenay effectue à son tour le voyage des Etats-Unis sous les auspices du Congrès pour la liberté de la culture – une organisation que nous retrouverons bientôt. L’occasion de rencontrer les dirigeants du Comité et ceux de la Fondation Ford (mais pas ceux de la CIA avec lesquels il n’entretiendra jamais de rapports directs) pour leur faire part des besoins matériels des fédéralistes. Message reçu » 5 sur 5 » par les Américains…
A cette date, Braden ne figure plus parmi les dirigeants officiels de l’ACUE. En vertu du principe des vases communicants, l’agent secret esthète vient en effet de rejoindre Dulles à la CIA. Les deux hommes partagent cette idée de bon sens : face aux communistes, ce ne sont pas les milieux conservateurs qu’il faut convaincre, mais la gauche antistalinienne européenne, dont Frenay constitue un des meilleurs représentants. Braden va plus loin : » Comme l’adversaire rassemblé au sein du Kominform, structurons-nous au plan mondial par grands secteurs d’activité : intellectuels, jeunes, syndicalistes réformistes, gauche modérée… « , plaide-t-il.
D’accord, répond Dulles. Naît ainsi la Division des organisations internationales de la CIA. Dirigée par Braden, cette direction centralise, entre autres, l’aide de la Compagnie via l’ACUE aux fédéralistes européens. En 1952, l’American Committee for United Europe finance ainsi l’éphémère Comité d’initiative pour l’assemblée constituante européenne, dont Spaak sera président et Frenay, le secrétaire général.
Brouillés avec la » Fédération « , leur rivale de droite qui servait jusque-là d’intermédiaire pour le versement des fonds CIA-ACUE par le truchement du mouvement churchillien, les amis de Frenay sont très vite au bord de l’asphyxie
Pour parer à l’urgence, Braden, virtuose du financement souterrain au travers de fondations privées plus ou moins bidon, va, cette fois, mettre en place une procédure de versements directs aux fédéralistes de gauche par des antennes para-gouvernementales américaines. A Paris, plaque tournante des opérations de la CIA en Europe avec Francfort, on opérera par le biais de l’Office of Special Representative, conçu à l’origine pour servir d’interface avec la toute jeune Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), ou de l’US Information Service (USIS). Par la suite, un bureau ACUE proprement dit sera ouvert.
Comme Jean Monnet, président de la Ceca, Frenay caresse, en cette année 1952, l’idée d’une armée européenne, pas décisif vers l’Europe politique selon lui. L’ACUE approuve chaudement. Prévue par le traité de Londres de mars 1952, cette Communauté européenne de défense comprendrait – c’est le point le plus épineux -, des contingents allemands. Reste à faire ratifier le traité par les parlements nationaux. Frenay s’engage avec enthousiasme dans ce nouveau combat. Pour se heurter, une fois encore, à de Gaulle, qui refuse la CED au nom de la souveraineté nationale et, déjà , du projet ultrasecret de force atomique française, ainsi qu’aux communistes, hostiles par principe à tout ce qui contrarie Moscou.
D’après les éléments recueillis par Robert Belot – dont la biographie du chef de Combat devrait sortir ce printemps au Seuil -, Frenay demandera méme à l’ACUE de financer l’édition d’une brochure réfutant… les thèses gaullistes sur la CED.
Staline meurt en mars 1953. L’année suivante, Cord Meyer Jr, un proche de la famille Kennedy, remplace Braden à la téte de la Division des organisations internationales de la CIA. Mais 1954 verra surtout cet échec cuisant des européanistes : l’enterrement définitif de la CED. Découragé, Frenay abandonne alors la présidence de l’Union européenne des fédéralistes. A partir d’octobre 1955, les » amis américains » reportent donc leurs espoirs sur un nouveau venu, le Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe de Jean Monnet.
Lié à Donovan et surtout à l’ambassadeur américain à Paris, David Bruce, un proche de Franck Wisner, Monnet est trop fin connaisseur du monde anglo-saxon pour accepter directement les dollars de la CIA. Compte tenu de sa prudence de Sioux, l’aide américaine à son courant européaniste devra emprunter d’autres voies.
En 1956, Monnet se voit ainsi proposer l’équivalent de 150 000 euros par la Fondation Ford. Une offre qu’il décline, préférant que cet argent soit versé au professeur Henri Rieben, un économiste et universitaire suisse pro-européen qui vient d’étre nommé chargé de mission aux Hautes Etudes commerciales de Lausanne. Rieben utilisera ces fonds en toute transparence financière pour créer un Centre de recherches européen.
En 1958, le retour du général de Gaulle, radicalement hostile aux thèses fédéralistes, annihile les derniers espoirs de l’UEF et de ses amis américains. Dissolution de l’ACUE dès mai 1960 puis cessation des financements occultes par la CIA s’ensuivent. En douze ans, la Compagnie aura quand méme versé aux européanistes de toutes tendances l’équivalent de 50 millions d’euros sans étre jamais prise la main dans le sac ! Mais pourra-t-on préserver longtemps le grand secret ?
La première alerte éclate dès 1962. Trop précise sur les financements américains, une thèse universitaire sur les mouvements européanistes doit étre » enterrée » d’urgence en Angleterre. Ce remarquable travail est l’oeuvre du fils d’un camarade de résistance de Frenay, Georges Rebattet, créateur en avril 1943 du Service national maquis. Georges Rebattet, le successeur en 1952 de Joseph Retinger comme secrétaire général d’un Mouvement européen dont il a d’ailleurs assaini pour une bonne part le financement.
Deuxième secousse au milieu des années 1960. L’étau de la presse américaine (le New York Times et la revue gauchiste Ramparts ) se resserre sur une des filiales du » trust » Braden-Meyer, le Congrès pour la liberté de la culture o๠se côtoyaient des intellectuels antitotalitaires européens de haute volée – Denis de Rougemont, Manhès Sperber, Franz Borkenau, Ignazio Silone, Arthur Koestler ou, par éclipses, Malraux et Raymond Aron. Financé par la CIA au travers de la Fondation Fairfield, le Congrès édite en français l’une de ses revues les plus prestigieuses, Preuves . Jouant la transparence, Braden jette alors son pavé dans la mare. » Je suis fier que la CIA soit immorale « , déclare-t-il en 1967 au journal britannique Saturday Evening Post , auquel il confie des révélations sensationnelles sur le financement occulte par la CIA du Congrès pour la liberté et sur le rôle d’Irving Brown dans les milieux syndicaux. Silence radio, en revanche, sur le soutien aux mouvements européanistes, le secret des secrets…
Ultime rebondissement à partir de juin 1970, quand le conservateur anglais pro-européen Edward Heath arrive à Downing Street. A sa demande, l’Information Research Department lance une vaste campagne pour populariser sous le manteau l’européanisme dans les médias et les milieux politiques britanniques. En 1973, l’Angleterre fait son entrée dans le Marché commun ; le 5 juin 1975, 67,2 % des électeurs britanniques ratifient la décision par référendum
Dans ce renversement de tendance en faveur de l’Europe, un homme s’est jeté à corps perdu : nul autre que le chef de la station de la CIA de Londres, Cord Meyer Jr. Ce bon vieux Cord qui remplaçait vingt ans plus tôt son copain Braden à la téte de la Division des organisations internationales de la Compagnie.
Par Rémi Kauffer *
http://vilistia.com/EUROPLOUF!/2011/10/26/la-cia-finance-la-construction-europeenne/#more-233
Des fédéralistes européens financés par des chefs de l’espionnage américain
Ambrose Evans-Prichard – Bruxelles
Daily Telegraph, le 19 septembre 2000
Des documents déclassifiés du gouvernement américain montrent que la communauté du renseignement des États-Unis a mené une campagne dans les années 1950 et 1960 pour favoriser l’unification de l’Europe. Celle-ci finança et dirigea le Mouvement fédéraliste européen.
Les documents confirment des soupçons émis à l’époque : en coulisse, l’Amérique travaillait avec acharnement à pousser la Grande-Bretagne à s’intégrer à un État européen. Un memorandum, daté du 26 juillet 1950, donne des instructions pour une campagne visant à promouvoir un véritable parlement européen. Il est signé par le Général William J. Donovan, chef du Bureau américain des services stratégiques en temps de guerre (OSS), l’ancêtre de la CIA.
Certains de ces documents, découverts par Joshua Paul, chercheur à l’Université de Georgetown à Washington, avaient été mis à disposition par les Archives nationales américaines. Le principal levier de Washington sur l’ordre du jour européen était le Comité Américain pour une Europe Unie (ACUE : American Committee on United Europe), créé en 1948. Donovan, qui se présentait alors comme un avocat en droit privé, en était le président.
Le vice-président, Allen Dulles, était le directeur de la CIA pendant les années 1950. Le comité comptait parmi ses membres Walter Bedell Smith, le premier directeur de la CIA, ainsi que d’anciennes personnalités et des responsables de l’OSS qui travaillaient par intermittence pour la CIA. Les documents montrent que l’ACUE a financé le Mouvement européen, l’organisation fédéraliste la plus importante d’après-guerre. En 1958, par exemple, l’ACUE a assuré 53,5 % du financement du mouvement.
L’European Youth Campaign, une branche du Mouvement européen, était entièrement financée et contrôlée par Washington. Son directeur belge, le Baron Boel, recevait des versements mensuels sur un compte spécial. Lorsqu’il était à la tête du Mouvement européen, Joseph Retinger, d’origine polonaise, avait essayé de mettre un frein à une telle mainmise et de lever des fonds en Europe ; il fut rapidement réprimandé.
Les dirigeants du Mouvement européen – Retinger, le visionnaire Robert Schuman et l’ancien premier ministre belge, Paul-Henri Spaak – étaient tous traités comme des employés par leurs parrains américains. Le rôle des États-Unis fut tenu secret. L’argent de l’ACUE provenait des fondations Ford et Rockefeller, ainsi que de milieux d’affaires ayant des liens étroits avec le gouvernement américain.
Paul Hoffman, directeur de la Fondation Ford et ex-officier de l’OSS, fut également à la tête de l’ACUE à la fin des années 1950. Le Département d’État y jouait aussi un rôle. Une note émanant de la Direction Europe, datée du 11 juin 1965, conseille au vice-président de la Communauté Économique Européenne, Robert Marjolin, de poursuivre de façon subreptice l’objectif d’une union monétaire.
Elle recommande d’empêcher tout débat jusqu’au moment où « l’adoption de telles propositions serait devenue pratiquement inévitable ».
Traduit de l’anglais par Laurent Dauré.
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Article original : Euro-federalists financed by US spy chiefs
By Ambrose Evans-Pritchard in Brussels
12:00AM BST 19 Sep 2000
DECLASSIFIED American government documents show that the US intelligence community ran a campaign in the Fifties and Sixties to build momentum for a united Europe. It funded and directed the European federalist movement.
The documents confirm suspicions voiced at the time that America was working aggressively behind the scenes to push Britain into a European state. One memorandum, dated July 26, 1950, gives instructions for a campaign to promote a fully fledged European parliament. It is signed by Gen William J Donovan, head of the American wartime Office of Strategic Services, precursor of the CIA.
The documents were found by Joshua Paul, a researcher at Georgetown University in Washington. They include files released by the US National Archives. Washington’s main tool for shaping the European agenda was the American Committee for a United Europe, created in 1948. The chairman was Donovan, ostensibly a private lawyer by then.
The vice-chairman was Allen Dulles, the CIA director in the Fifties. The board included Walter Bedell Smith, the CIA’s first director, and a roster of ex-OSS figures and officials who moved in and out of the CIA. The documents show that ACUE financed the European Movement, the most important federalist organisation in the post-war years. In 1958, for example, it provided 53.5 per cent of the movement’s funds.
The European Youth Campaign, an arm of the European Movement, was wholly funded and controlled by Washington. The Belgian director, Baron Boel, received monthly payments into a special account. When the head of the European Movement, Polish-born Joseph Retinger, bridled at this degree of American control and tried to raise money in Europe, he was quickly reprimanded.
The leaders of the European Movement – Retinger, the visionary Robert Schuman and the former Belgian prime minister Paul-Henri Spaak – were all treated as hired hands by their American sponsors. The US role was handled as a covert operation. ACUE’s funding came from the Ford and Rockefeller foundations as well as business groups with close ties to the US government.
The head of the Ford Foundation, ex-OSS officer Paul Hoffman, doubled as head of ACUE in the late Fifties. The State Department also played a role. A memo from the European section, dated June 11, 1965, advises the vice-president of the European Economic Community, Robert Marjolin, to pursue monetary union by stealth.
It recommends suppressing debate until the point at which « adoption of such proposals would become virtually inescapable ».
http://www.u-p-r.fr/actualite/europe/des-federalistes-europeens-finances-par-des-chefs-de-lespionnage-americain
mercredi 22 février 2012
Les vidéos mises en ligne (playlist)
('http://www.youtube.com/p/_eQTR18f-kcgVj-S03RZhw?version=3&hl=fr_FR',)
vendredi 10 février 2012
Jean Ziegler : "Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné"
Jean Ziegler : "Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné"
vendredi 10 février 2012 à 11h32
Depuis des années, le sociologue suisse Jean Ziegler dénonce les dérives de l'ultralibéralisme et leurs conséquences sur les populations. Rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation du Conseil des droits de l'homme des Nations unies de 2000 à 2008, il remet le couvert avec Destruction massive (1). La faim dans le monde (un enfant de moins de 10 ans meurt toutes les 5 secondes) n'est pas une fatalité. Pour Jean Ziegler, le dumping agricole de l'Union européenne, l'accaparement des terres par les grandes puissances, le développement des agrocarburants, les politiques imposées par le FMI ou la spéculation expliquent ce fiasco. Malgré le repli sur soi des Occidentaux frappés par la crise économique, le trublion socialiste croit en une « insurrection des consciences ». De Charleroi, dont il a visité le CPAS la semaine dernière, au Darfour.
Jean Ziegler.
Jean Ziegler. © Reuters
Le Vif/L'Express : Dans quelle mesure la crise économique que connaissent les Etats occidentaux handicape-t-elle le combat contre la faim dans le monde ? Pensez-vous encore être écouté par les dirigeants des pays industrialisés ?
Jean Ziegler : Il y a un lien évident, objectif et psychologique. Le lien objectif : le Programme alimentaire mondial (PAM), chargé de l'aide d'urgence, a vu son budget pour la Corne de l'Afrique (12 millions de personnes touchées par la famine dans cinq pays, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Somalie, Kenya) diminuer de 50 %, de 6 milliards en 2008 à 2,8 - 3,2 milliards en 2012. Les pays industrialisés ont drastiquement réduit leurs contributions parce qu'ils ont dû renflouer leurs banques ou les pays menacés de la zone euro. Dans les dix-sept camps et centres de nutrition de l'Ogaden éthiopien, du nord du Kenya, de Somalie, le PAM doit refuser des centaines de personnes tous les matins. Sarkozy, Merkel ou Cameron ne sont pas en cause ; ils ont été élus pour maintenir en état de fonctionnement leur économie et pas pour sauver les enfants du Darfour, du Guatemala ou de la Corne de l'Afrique. Les enfants ne meurent pas sur la Grand-Place de Bruxelles ou sur les Champs-Elysées ; ils n'ont pas de visibilité.
Le lien psychologique : l'attention s'est affaiblie. Il y a dans l'opinion publique un mouvement de repli sur soi : comment survivre ici, comment conserver son emploi, comment lutter contre la précarité ? Ces questionnements légitimes ne prédisposent pas à la solidarité. Et pourtant, dans le même temps, une société civile se constitue et résiste.
La crise financière de 2008 a mis en exergue les dérives de certains milieux financiers, dont celles des spéculateurs. Ce coup de projecteur vous aide-t-il à les dénoncer ?
Oui. Le masque néolibéral est tombé. Jusqu'alors, c'est le marché mondial qui commandait, la « main invisible ». L'idée était répandue qu'on mourait de faim dans les pays du Sud parce que les gens n'étaient pas assez productifs... Cette théorie de légitimité était d'une solidité effrayante. Et tout à coup, on s'est rendu compte que c'est la spéculation effrénée, le banditisme bancaire, l'avidité du gain qui ont provoqué l'effondrement des marchés. Le capitalisme financier globalisé est nu. Il a perdu toute légitimité morale.
A partir de 2008, les spéculateurs ont migré des marchés financiers vers ceux des matières premières, essentiellement agricoles. Ils ont commencé à spéculer, tout à fait légalement, sur les aliments de base : le maïs, le blé et le riz. Conséquence : l'explosion des prix. En 18 mois, d'avril 2010 à septembre 2011, le prix mondial du maïs a augmenté de 93 %, la tonne de riz de 116 % et celle de blé meunier a doublé. C'est la Banque mondiale qui le dit : des centaines de millions de personnes supplémentaires ont été jetées dans l'abîme de la destruction lente de la sous-alimentation.
Que vous inspire le fait que peu de choses ont été entreprises depuis la crise financière de 2008 pour mettre fin aux dérives des spéculateurs ?
La colère, bien sûr. Toutes les cinq secondes, un enfant en dessous de 10 ans meurt de faim. Or, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'agriculture mondiale, dans le développement actuel de ses forces de production, pourrait nourrir normalement 12 milliards d'êtres humains, presque le double de l'humanité. Il n'y a plus aucune fatalité : un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné. L'inaction face aux spéculateurs provoque aussi chez moi un étonnement profond. Dans deux ou trois générations, nos successeurs nous jugeront de la même manière que nous regardons aujourd'hui ceux qui, au milieu du XIXe siècle, ont laissé faire l'esclavage. Comment est-il possible que des gens informés et animés par des grands principes philosophiques tolèrent, au début du XXIe siècle, la « chosification » des hommes ? L'humanité perd 70 millions de citoyens par an. En 2011, parmi ces 70 millions, 36 millions sont décédés de la faim ou de ses suites immédiates.
Est-il possible de légiférer à l'échelle mondiale pour soustraire des manoeuvres spéculatives des produits aussi vitaux que le blé ou le riz ?
En démocratie, tout est possible. Tous les mécanismes meurtriers à l'origine des famines peuvent être brisés par la volonté des hommes : le dumping agricole de l'Union européenne qui déverse ses surplus subventionnés sur les marchés africains, le surendettement des pays du tiers-monde qui empêche les plus pauvres de procéder au moindre investissement dans l'agriculture vivrière, l'accaparement de terres par les trusts multinationaux (les fonds souverains...), l'explosion des agrocarburants... Demain matin, la spéculation sur les matières premières agricoles peut être interdite par une révision de la loi sur la Bourse de Bruxelles, de Paris, de Londres, de New York. C'est une question de volonté politique.
Le 5 octobre 2011, le président français Nicolas Sarkozy annonçait que le G 20 allait mettre fin à la spéculation boursière sur les aliments de base. Quelques jours plus tard à Cannes, la France retirait sa proposition. Entre-temps, les multinationales, à travers leurs relais politiques et médiatiques, s'étaient formidablement mobilisées pour mettre à genoux le président élu de la République française...
Croyez-vous véritablement en la puissance du mouvement de la société civile, dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud ?
Oui. Au Sud ont lieu désormais des insurrections paysannes dont personne ne parle en Occident : dans le nord du Sénégal, au Honduras, en Mongolie, au Bangladesh, aux Philippines, en Indonésie... Via Campesina est le plus grand syndicat au monde : il regroupe 115 millions de petits paysans. Autre espoir, le réveil de la conscience européenne, en dehors des partis. Ce mouvement de la société civile est comme un Internet vivant. Che Guevara disait : « Les murs les plus solides s'effondrent par des fissures. » Or des fissures apparaissent partout, partout.
Le Forum social mondial, par exemple, connaît une crise existentielle parce qu'on lui reproche d'être incapable de se transformer en une force de proposition. La contestation sans traduction politique n'a-t-elle pas atteint ses limites ?
Face à l'ordre cannibale du monde, opposons la raison analytique de la responsabilité. La société civile démasque cette hypocrisie. Il y a des responsables. Il y a des mécanismes qui tuent. On connaît les moyens pour y mettre fin. Ils sont tout à fait démocratiques. Il n'y a pas d'impuissance en démocratie.
N'êtes-vous déçu par l'inaction des partis socialistes européens qui auraient pu proposer une alternative au libéralisme financier après la crise de 2008 ?
L'Internationale socialiste est un cadavre pourrissant. Les partis socialistes vivaient d'une rente de situation. Face à la menace soviétique, la bourgeoisie régnante a concédé des miettes aux partis socialistes de peur que les ouvriers votent communiste : un peu de sécurité sociale, un peu de convention collective de travail. Du temps du communisme étatique, les sociaux-démocrates étaient un peu « la Croix-Rouge du capitalisme ». Maintenant, le capitalisme financier a conquis la planète. L'année dernière, d'après les chiffres de la Banque mondiale, les 500 plus grandes sociétés transcontinentales privées ont contrôlé 58 % du produit mondial brut (les richesses, produits, brevets, services, capitaux, etc., créés en une année). Ce pouvoir est d'une brutalité totale et tue par la faim. Il y a 18 millions de chômeurs permanents dans les 27 pays de l'UE ; à Charleroi, 42 % des jeunes n'ont jamais eu de travail et on dit : « On ne peut pas faire autrement, c'est le marché qui en a décidé ainsi. »
Comment expliquez-vous au chômeur de Charleroi que son combat est le même que celui du paysan de la République démocratique du Congo ?
L'ennemi est le même : les oligarchies du capital financier mondialisé qui délocalisent, précarisent et le rejettent dans le chômage. Elles ont la même théorie de justification. Si le président de Nestlé, le premier groupe agroalimentaire au monde, n'augmente pas le chiffre d'affaires de 15 à 20 % par an, après trois mois, il n'est plus président de Nestlé. La violence structurelle frappe le chômeur de Charleroi comme le paysan affamé du Darfour. La solidarité est la seule réponse. N'accepter ni le chômage de masse ni la faim comme une normalité.
Le combat contre la faim n'est-il pas aussi entravé dans les pays du Sud par la corruption de nombreux dirigeants ?
La corruption d'un grand nombre de dirigeants autochtones est évidemment effroyable. Cependant, même si vous les remplaciez tous par des Thomas Sankara [NDLR : jeune dirigeant charismatique du Burkina Faso (1983-1987), assassiné lors d'un coup d'Etat fomenté par son compagnon de révolution et actuel chef de l'Etat, Blaise Compaore], la destruction structurelle demeurerait la même : le dumping agricole, la dette, la spéculation, l'accaparement des terres... Il ne s'agit à aucun moment d'excuser ou de minimiser les rôles des dirigeants corrompus mais ce sont de simples auxiliaires.
La crise économique a ravivé, en Europe et aux Etats-Unis, le débat sur le protectionnisme économique. Pensez-vous qu'appliqué à certains pays du Sud, il pourrait servir en définitive les populations ?
Ce qui est terrible, ce sont les accords d'investissements imposés par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le libre-échange, c'est opposer sur un ring de boxe Mike Tyson, champion du monde des poids lourds, à un chômeur sous-alimenté du Bangladesh. Pascal Lamy, le directeur général de l'OMC, dit alors : « De quoi vous plaignez-vous ? Les conditions et les règles sont les mêmes pour les deux boxeurs. Il y a un arbitre, c'est le marché. » On voit bien que c'est une absurdité. Il faut que la Côte d'Ivoire, le Cameroun, le Rwanda... puissent protéger par des murs douaniers leur industrie naissante.
La contestation du libéralisme financier ne manque-t-elle pas de relais politiques ? Certains imaginaient que le président brésilien Lula puisse jouer ce rôle....
La jonction entre les Etats progressistes et le mouvement de la société civile s'est faite de façon insuffisante. Cela vient du fait que les militants de base de la société civile ont une incroyable méfiance envers tous les dirigeants politiques.
(1) Destruction massive. Géopolitique de la faim, Seuil, 2011, 344 p.
Propos recueillis par Gérald Papy
Jean Ziegler EN 8 DATES
19 avril 1934 Naissance à Thoune, dans le canton de Berne, en Suisse. 1958 Doctorat en droit et en sociologie. 1967-1983 et 1987-1999 Conseiller national (député) socialiste de Genève au Parlement fédéral. 2000-2008 Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme des Nations unies pour le droit à l'alimentation. 2007 Publication de L'Empire de la honte (Fayard). 2008 La Haine de l'Occident (Albin Michel). 2009 Membre du comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations unies.
vendredi 10 février 2012 à 11h32
Depuis des années, le sociologue suisse Jean Ziegler dénonce les dérives de l'ultralibéralisme et leurs conséquences sur les populations. Rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation du Conseil des droits de l'homme des Nations unies de 2000 à 2008, il remet le couvert avec Destruction massive (1). La faim dans le monde (un enfant de moins de 10 ans meurt toutes les 5 secondes) n'est pas une fatalité. Pour Jean Ziegler, le dumping agricole de l'Union européenne, l'accaparement des terres par les grandes puissances, le développement des agrocarburants, les politiques imposées par le FMI ou la spéculation expliquent ce fiasco. Malgré le repli sur soi des Occidentaux frappés par la crise économique, le trublion socialiste croit en une « insurrection des consciences ». De Charleroi, dont il a visité le CPAS la semaine dernière, au Darfour.
Jean Ziegler.
Jean Ziegler. © Reuters
Le Vif/L'Express : Dans quelle mesure la crise économique que connaissent les Etats occidentaux handicape-t-elle le combat contre la faim dans le monde ? Pensez-vous encore être écouté par les dirigeants des pays industrialisés ?
Jean Ziegler : Il y a un lien évident, objectif et psychologique. Le lien objectif : le Programme alimentaire mondial (PAM), chargé de l'aide d'urgence, a vu son budget pour la Corne de l'Afrique (12 millions de personnes touchées par la famine dans cinq pays, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Somalie, Kenya) diminuer de 50 %, de 6 milliards en 2008 à 2,8 - 3,2 milliards en 2012. Les pays industrialisés ont drastiquement réduit leurs contributions parce qu'ils ont dû renflouer leurs banques ou les pays menacés de la zone euro. Dans les dix-sept camps et centres de nutrition de l'Ogaden éthiopien, du nord du Kenya, de Somalie, le PAM doit refuser des centaines de personnes tous les matins. Sarkozy, Merkel ou Cameron ne sont pas en cause ; ils ont été élus pour maintenir en état de fonctionnement leur économie et pas pour sauver les enfants du Darfour, du Guatemala ou de la Corne de l'Afrique. Les enfants ne meurent pas sur la Grand-Place de Bruxelles ou sur les Champs-Elysées ; ils n'ont pas de visibilité.
Le lien psychologique : l'attention s'est affaiblie. Il y a dans l'opinion publique un mouvement de repli sur soi : comment survivre ici, comment conserver son emploi, comment lutter contre la précarité ? Ces questionnements légitimes ne prédisposent pas à la solidarité. Et pourtant, dans le même temps, une société civile se constitue et résiste.
La crise financière de 2008 a mis en exergue les dérives de certains milieux financiers, dont celles des spéculateurs. Ce coup de projecteur vous aide-t-il à les dénoncer ?
Oui. Le masque néolibéral est tombé. Jusqu'alors, c'est le marché mondial qui commandait, la « main invisible ». L'idée était répandue qu'on mourait de faim dans les pays du Sud parce que les gens n'étaient pas assez productifs... Cette théorie de légitimité était d'une solidité effrayante. Et tout à coup, on s'est rendu compte que c'est la spéculation effrénée, le banditisme bancaire, l'avidité du gain qui ont provoqué l'effondrement des marchés. Le capitalisme financier globalisé est nu. Il a perdu toute légitimité morale.
A partir de 2008, les spéculateurs ont migré des marchés financiers vers ceux des matières premières, essentiellement agricoles. Ils ont commencé à spéculer, tout à fait légalement, sur les aliments de base : le maïs, le blé et le riz. Conséquence : l'explosion des prix. En 18 mois, d'avril 2010 à septembre 2011, le prix mondial du maïs a augmenté de 93 %, la tonne de riz de 116 % et celle de blé meunier a doublé. C'est la Banque mondiale qui le dit : des centaines de millions de personnes supplémentaires ont été jetées dans l'abîme de la destruction lente de la sous-alimentation.
Que vous inspire le fait que peu de choses ont été entreprises depuis la crise financière de 2008 pour mettre fin aux dérives des spéculateurs ?
La colère, bien sûr. Toutes les cinq secondes, un enfant en dessous de 10 ans meurt de faim. Or, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'agriculture mondiale, dans le développement actuel de ses forces de production, pourrait nourrir normalement 12 milliards d'êtres humains, presque le double de l'humanité. Il n'y a plus aucune fatalité : un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné. L'inaction face aux spéculateurs provoque aussi chez moi un étonnement profond. Dans deux ou trois générations, nos successeurs nous jugeront de la même manière que nous regardons aujourd'hui ceux qui, au milieu du XIXe siècle, ont laissé faire l'esclavage. Comment est-il possible que des gens informés et animés par des grands principes philosophiques tolèrent, au début du XXIe siècle, la « chosification » des hommes ? L'humanité perd 70 millions de citoyens par an. En 2011, parmi ces 70 millions, 36 millions sont décédés de la faim ou de ses suites immédiates.
Est-il possible de légiférer à l'échelle mondiale pour soustraire des manoeuvres spéculatives des produits aussi vitaux que le blé ou le riz ?
En démocratie, tout est possible. Tous les mécanismes meurtriers à l'origine des famines peuvent être brisés par la volonté des hommes : le dumping agricole de l'Union européenne qui déverse ses surplus subventionnés sur les marchés africains, le surendettement des pays du tiers-monde qui empêche les plus pauvres de procéder au moindre investissement dans l'agriculture vivrière, l'accaparement de terres par les trusts multinationaux (les fonds souverains...), l'explosion des agrocarburants... Demain matin, la spéculation sur les matières premières agricoles peut être interdite par une révision de la loi sur la Bourse de Bruxelles, de Paris, de Londres, de New York. C'est une question de volonté politique.
Le 5 octobre 2011, le président français Nicolas Sarkozy annonçait que le G 20 allait mettre fin à la spéculation boursière sur les aliments de base. Quelques jours plus tard à Cannes, la France retirait sa proposition. Entre-temps, les multinationales, à travers leurs relais politiques et médiatiques, s'étaient formidablement mobilisées pour mettre à genoux le président élu de la République française...
Croyez-vous véritablement en la puissance du mouvement de la société civile, dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud ?
Oui. Au Sud ont lieu désormais des insurrections paysannes dont personne ne parle en Occident : dans le nord du Sénégal, au Honduras, en Mongolie, au Bangladesh, aux Philippines, en Indonésie... Via Campesina est le plus grand syndicat au monde : il regroupe 115 millions de petits paysans. Autre espoir, le réveil de la conscience européenne, en dehors des partis. Ce mouvement de la société civile est comme un Internet vivant. Che Guevara disait : « Les murs les plus solides s'effondrent par des fissures. » Or des fissures apparaissent partout, partout.
Le Forum social mondial, par exemple, connaît une crise existentielle parce qu'on lui reproche d'être incapable de se transformer en une force de proposition. La contestation sans traduction politique n'a-t-elle pas atteint ses limites ?
Face à l'ordre cannibale du monde, opposons la raison analytique de la responsabilité. La société civile démasque cette hypocrisie. Il y a des responsables. Il y a des mécanismes qui tuent. On connaît les moyens pour y mettre fin. Ils sont tout à fait démocratiques. Il n'y a pas d'impuissance en démocratie.
N'êtes-vous déçu par l'inaction des partis socialistes européens qui auraient pu proposer une alternative au libéralisme financier après la crise de 2008 ?
L'Internationale socialiste est un cadavre pourrissant. Les partis socialistes vivaient d'une rente de situation. Face à la menace soviétique, la bourgeoisie régnante a concédé des miettes aux partis socialistes de peur que les ouvriers votent communiste : un peu de sécurité sociale, un peu de convention collective de travail. Du temps du communisme étatique, les sociaux-démocrates étaient un peu « la Croix-Rouge du capitalisme ». Maintenant, le capitalisme financier a conquis la planète. L'année dernière, d'après les chiffres de la Banque mondiale, les 500 plus grandes sociétés transcontinentales privées ont contrôlé 58 % du produit mondial brut (les richesses, produits, brevets, services, capitaux, etc., créés en une année). Ce pouvoir est d'une brutalité totale et tue par la faim. Il y a 18 millions de chômeurs permanents dans les 27 pays de l'UE ; à Charleroi, 42 % des jeunes n'ont jamais eu de travail et on dit : « On ne peut pas faire autrement, c'est le marché qui en a décidé ainsi. »
Comment expliquez-vous au chômeur de Charleroi que son combat est le même que celui du paysan de la République démocratique du Congo ?
L'ennemi est le même : les oligarchies du capital financier mondialisé qui délocalisent, précarisent et le rejettent dans le chômage. Elles ont la même théorie de justification. Si le président de Nestlé, le premier groupe agroalimentaire au monde, n'augmente pas le chiffre d'affaires de 15 à 20 % par an, après trois mois, il n'est plus président de Nestlé. La violence structurelle frappe le chômeur de Charleroi comme le paysan affamé du Darfour. La solidarité est la seule réponse. N'accepter ni le chômage de masse ni la faim comme une normalité.
Le combat contre la faim n'est-il pas aussi entravé dans les pays du Sud par la corruption de nombreux dirigeants ?
La corruption d'un grand nombre de dirigeants autochtones est évidemment effroyable. Cependant, même si vous les remplaciez tous par des Thomas Sankara [NDLR : jeune dirigeant charismatique du Burkina Faso (1983-1987), assassiné lors d'un coup d'Etat fomenté par son compagnon de révolution et actuel chef de l'Etat, Blaise Compaore], la destruction structurelle demeurerait la même : le dumping agricole, la dette, la spéculation, l'accaparement des terres... Il ne s'agit à aucun moment d'excuser ou de minimiser les rôles des dirigeants corrompus mais ce sont de simples auxiliaires.
La crise économique a ravivé, en Europe et aux Etats-Unis, le débat sur le protectionnisme économique. Pensez-vous qu'appliqué à certains pays du Sud, il pourrait servir en définitive les populations ?
Ce qui est terrible, ce sont les accords d'investissements imposés par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le libre-échange, c'est opposer sur un ring de boxe Mike Tyson, champion du monde des poids lourds, à un chômeur sous-alimenté du Bangladesh. Pascal Lamy, le directeur général de l'OMC, dit alors : « De quoi vous plaignez-vous ? Les conditions et les règles sont les mêmes pour les deux boxeurs. Il y a un arbitre, c'est le marché. » On voit bien que c'est une absurdité. Il faut que la Côte d'Ivoire, le Cameroun, le Rwanda... puissent protéger par des murs douaniers leur industrie naissante.
La contestation du libéralisme financier ne manque-t-elle pas de relais politiques ? Certains imaginaient que le président brésilien Lula puisse jouer ce rôle....
La jonction entre les Etats progressistes et le mouvement de la société civile s'est faite de façon insuffisante. Cela vient du fait que les militants de base de la société civile ont une incroyable méfiance envers tous les dirigeants politiques.
(1) Destruction massive. Géopolitique de la faim, Seuil, 2011, 344 p.
Propos recueillis par Gérald Papy
Jean Ziegler EN 8 DATES
19 avril 1934 Naissance à Thoune, dans le canton de Berne, en Suisse. 1958 Doctorat en droit et en sociologie. 1967-1983 et 1987-1999 Conseiller national (député) socialiste de Genève au Parlement fédéral. 2000-2008 Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme des Nations unies pour le droit à l'alimentation. 2007 Publication de L'Empire de la honte (Fayard). 2008 La Haine de l'Occident (Albin Michel). 2009 Membre du comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations unies.
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