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Politique
Publié le 12/03/2009 - Modifié le 13/03/2009 N°1904 Le Point
Les francs-maçons de Sarkozy
Influence. Les « frères » sont nombreux autour du président, révèle Sophie Coignard dans un livre dérangeant.
Sylvie Pierre-Brossolette
Les francs-maçons ? Ils sont partout, jusqu’au coeur de l’Etat. C’est en tout cas la conclusion de notre consoeur et collaboratrice au Point Sophie Coignard.
Dans un livre extrêmement documenté, elle met en lumière le rôle de cette confrérie aussi mythique que réelle, qui ne cesse d’alimenter les fantasmes sur son pouvoir supposé. Confiant qu’elle-même a longtemps oscillé entre deux attitudes-le scepticisme et la conviction-, son enquête l’a persuadée que les francs-maçons exerçaient encore au XXIe siècle une influence prépondérante, voire croissante, en particulier dans les sphères publique et économique. Gouvernement, administration, entreprises, banques, rares sont les secteurs où ils ne sont pas présents. « Tandis que l’autorité de l’Etat tombe en lambeaux, que les corps intermédiaires n’existent plus, que la notion de service public a perdu de son sens, les francs-maçons, ou du moins certains d’entre eux, deviennent des médiateurs, des facilitateurs, voire des décideurs. Progressivement, ils ont donc reconstitué un Etat dans l’Etat. »
Puissance
Une affirmation que tente de relativiser un des plus connus d’entre eux, Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient et super-conseiller de Nicolas Sarkozy. En décembre 2007, il déclare à l’auteur : « Ce gouvernement est le plus a-maçonnique qui soit, puisque nous sommes à zéro franc-maçon. Même sous le gouvernement du maréchal Pétain à Vichy, il y en avait, hélas. » Bauer sera pris à contrepied. Car, quelques semaines plus tard, Brice Hortefeux, qui n’est pas le moins voyant des ministres, ne dément pas avoir longtemps fréquenté les colonnes du temple. Puis l’on apprend que Xavier Bertrand est membre du Grand Orient, ce qui suscitera, dit-on, ce bon mot de François Fillon : « Je ne suis pas étonné de le découvrir maçon ; mais franc, cela m’en bouche un coin... » A droite, même si l’on est plus discret qu’à gauche sur son appartenance maçonnique, on est donc bien présent dans les loges. Et, si le chef de l’Etat n’est pas de la « famille », il en prend grand soin, sachant son poids (voir extraits pages suivantes).
« Jamais je n’aurais pensé que les francs-maçons étaient aussi puissants ! » Cette réflexion effarée de Jean-Pierre Raffarin vient d’un épisode vécu lorsqu’il était Premier ministre. Il en garde un très mauvais souvenir : la mobilisation fraternelle l’a en effet empêché, malgré tous ses efforts, de nommer à la tête d’EDF, bastion franc-maçon, l’ancien ministre Francis Mer à la place de François Roussely, qui admet être proche des frères pour les avoir beaucoup fréquentés. Pour le défendre, un déluge de coups de téléphone s’abat sur Matignon. Il y avait tous les jours un appel de Bauer et un autre d’Henri Proglio, patron de Veolia, qui dément très mollement être initié. La bataille dure des semaines. Pour finir, les ligueurs ne sauvent pas Roussely, mais ont la peau de Mer. Raffarin en tremble encore.
Solidarité
Le poids des frères se fait également sentir dans le monde de la justice. Quand Vincent Lamanda fut nommé premier président de la Cour de cassation, ce fut une minirévolution dans cette cour suprême, « Etat maçonnique miniature » . Pour la première fois, ni le premier président ni le procureur général n’étaient des initiés. Lamanda, selon Le Monde, aurait même poussé la provocation en confiant au CSM, qui devait le désigner : « Je ne suis pas franc-maçon. » Tempête dans le landerneau judiciaire, truffé de frères. A tel point que Lamanda dut se fendre d’une lettre d’excuses, sans vraiment démentir. Il est un des rares, dans ce microcosme, à détester ouvertement les francs-maçons.
Dans certaines institutions, on n’a carrément pas intérêt à être un profane. Augustin de Romanet, nommé à la tête de la Caisse des dépôts en 2007, en a fait l’amère expérience. Cet énarque catholique tout en rondeur a le sentiment, dès son entrée en fonctions, « que l’entourage de [son] prédécesseur [Francis Mayer] compte de nombreux frères ». Très vite, l’épreuve de force entre le catho et les initiés provoque des polémiques au sujet des nominations ou des évictions. Ainsi, quand Dominique Marcel, le numéro deux et ex-dir cab de Martine Aubry, est remercié par Romanet, c’est le tollé. Commentaire au siège de la Caisse : « C’est moins une chasse aux sorcières qu’une chasse aux frères. » La solidarité est la première des vertus maçonniques....
Fleurons
Les francs-maçons détiennent de nombreux bastions, comme les mutuelles, le « paradis des frères », ou Bouygues, ou encore Eiffage. Malgré la privatisation de nombreuses entreprises publiques où les francs-maçons étaient très présents, ces derniers ont conservé leur place à tous les étages de la hiérarchie, conseils d’administration compris. C’est le cas de La Poste et de France Télécom, qui ont succédé au ministère des PTT, véritable pépinière fraternelle. Idem pour Air France, où les dirigeants comme les pilotes connaissent un taux d’initiation bien supérieur à la moyenne nationale.
Sophie Coignard nous fait ainsi découvrir tout au long de son livre les dessous de nombre de nominations ou d’opérations. On est parfois sidéré, voire choqué, que de tels réseaux puissent exister à l’heure de la modernité et de la transparence. Certes, d’autres puissants lobbys ont partout leur mot à dire. Mais les francs-maçons auront réussi le tour de force d’être à la fois le plus ancien et le plus secret des réseaux. Son mystère a fait sa force. Le voici aujourd’hui en partie dévoilé
Extraits : « Un Etat dans l’Etat », de Sophie Coignard (Albin Michel, 336 pages, 20e)
« Même s’il avait voulu, il n’aurait jamais tenu ! » s’amuse un de ses plus anciens amis, selon lequel Nicolas Sarkozy nourrit une incompatibilité quasi physiologique avec le statut de franc-maçon. « Vous l’imaginez demeurer pendant un an, à raison de deux réunions par mois, au milieu d’une assemblée où il est tenu au silence le plus absolu ? » Le voeu-provisoire-de silence en loge s’applique en effet à tous les nouveaux venus, à l’exception de quelques chefs d’Etat africains auxquels la GLNF offre une formation accélérée. A ces rares exceptions près, il fait partie des exigences non négociables de l’initiation.
Pendant sa traversée du désert, après la défaite d’Edouard Balladur, Nicolas Sarkozy a fréquenté, comme intervenant extérieur, plusieurs loges de Neuilly, dont La Lumière, celle de l’ancien sénateur Henri Caillavet, une des figures les plus marquantes du Grand Orient. Certains croient se souvenir de quelques appels du pied du maire de Neuilly, redevenu avocat, après la répudiation chiraquienne, pour approfondir les relations et aller plus loin si affinités. Ils assurent ne pas avoir donné suite, car Nicolas Sarkozy, déjà à l’époque, n’avait pas le profil pour recevoir la lumière. Il n’est pas interdit de voir dans cette évocation une sorte de rêve rétrospectif.
Cependant, à défaut d’avoir expérimenté personnellement le cabinet de réflexion préalable au passage sous le bandeau, Sarkozy sait appliquer aux frères le traitement « segmenté » qu’il réserve à toutes les « communautés ». Cette vision de la société, où l’on ne s’adresse pas à l’ensemble des citoyens mais à chacun de ses sous-ensembles, marque très fortement sa communication avec les maçons.
Un paraphe à trois points
En 1996, à l’époque de sa disgrâce, personne ne s’intéresse vraiment à son sort. Mais quelques-uns de ses confrères avocats sont assez intrigués. Certains parlent beaucoup entre eux de courriers qu’ils ont reçus et au bas desquels la signature de Me Sarkozy est très nettement agrémentée de trois points. L’histoire court dans Paris, où plus d’un analyste des réputations se répand sur une appartenance certaine à la grande confrérie.
Le temps passe. Le maire de Neuilly gravit un à un les échelons qui le mènent, en 2002, au ministère de l’Intérieur. [...] Et voilà que les trois points de sa signature, dont personne ne parlait plus depuis des années, redeviennent un sujet de conversation.
Peu de temps avant de quitter la Place Beauvau, Nicolas Sarkozy doit faire face à la grogne des syndicats policiers, las de devoir intervenir en banlieue sans avoir toujours le sentiment d’être soutenus par le gouvernement. Sans se faire prier, le ministre écrit à plusieurs patrons de syndicats, notamment au secrétaire général d’Alliance, classé à droite, pour les assurer que tout le ministère est derrière eux dans les opérations de maintien de l’ordre souvent difficiles qu’ils ont à mener. En dessous de sa signature : trois points très ostensiblement dessinés en triangle.
Alliance, il est vrai, compte de nombreux maçons parmi ses dirigeants. Jean-Claude Delage, son secrétaire général, un flic sympathique qui a gardé de sa Marseille natale un accent chaleureux, est le premier à défendre, avec véhémence et conviction, le secret de l’appartenance. Nicolas Sarkozy, engagé dans la campagne présidentielle, distribue-t-il les-trois-points en fonction des destinataires de ses missives ? En tout cas, l’histoire fait parler. Et, comme toujours, Alain Bauer, l’ancien grand maître du Grand Orient devenu le spécialiste chargé de la sécurité et de la police auprès du président, a sa petite anecdote pour banaliser cette amusante histoire. « J’ai plusieurs lettres de lui sur un mur de mon bureau, s’amuse-t-il. Il n’y en a pas deux qui sont signées de la même manière. » Alors, pourquoi le fantasme collectif aurait-il vu trois points là où il n’y avait rien à signaler ? « C’est d’autant plus idiot que les francs-maçons savent que Nicolas Sarkozy ne l’est pas, tandis que les autres, au mieux, n’en ont rien à faire », poursuit Bauer.
C’est bien essayé, de la part de l’ancien grand maître du Grand Orient, qui sait mentir avec un entrain plaisant, mais ce n’est pas vrai. Dans le paysage morcelé de la maçonnerie française, toutes les obédiences n’entretiennent pas des relations mutuelles d’une grande courtoisie. Elles se communiquent, certes, chaque année, depuis le temps des affaires, la liste des personnes radiées pour mauvais comportements, afin que celles-ci ne puissent pas frapper à la porte d’un temple où elles ne sont pas encore défavorablement connues. Mais c’est bien la preuve que tous les maçons ne se reconnaissent pas entre eux, notamment entre membres du Grand Orient de France et de la Grande Loge nationale française, puisque la seconde interdit toute relation avec le premier. La signature « trois points » peut donc, à la marge, susciter quelques sympathies fraternelles. « Et si le ministre était un des nôtres ? » ont rêvé les plus naïfs, tandis que les autres trouvaient plutôt agréable ce clin d’oeil dans leur direction.
Itinéraire d’un non-initié
Et d’ailleurs, l’illusion fonctionne. Au cours de l’enquête destinée à nourrir ce livre, plusieurs maçons ont soutenu mordicus que le président avait été initié. Leurs arguments n’emportent pas la conviction, puisque ceux de la GLNF soupçonnent Alain Bauer de l’avoir embrigadé au GO, tandis que quelques antisarkozystes de la rue Cadet-et ils sont assez remontés depuis les discours sur la « laïcité positive » prononcés au cours de l’hiver 2007-2008 !-verraient bien le chef de l’Etat à la GLNF, qui compte, il est vrai, une solide implantation dans les Hauts-de-Seine.
Il faut toutefois faire preuve d’une candeur touchante pour imaginer Nicolas Sarkozy, une fois président, rejoignant une obédience. « Pour lui, dit un de ses proches, c’est un réseau parmi d’autres. Et quand on est le chef, c’est bien d’avoir des membres du réseau autour de soi. Pour qu’ils puissent décoder et envoyer des messages. »
Le président a d’ailleurs côtoyé intimement des frères dès le berceau politique. Son parrain, l’ancien maire de Neuilly Achille Peretti, auquel il a succédé à la hussarde en 1983, était à la GLNF, que l’on appelait alors « Bineau », car son siège était situé boulevard Bineau, à Neuilly, justement. Ce personnage haut en couleur avait pistonné au parti gaulliste l’un de ses compatriotes corses, Charles Ceccaldi-Raynaud, un ancien de la SFIO, avocat puis commissaire de police. Cet homme habile qui savait renvoyer l’ascenseur est allé loin. Il a conquis la mairie de Puteaux et a régné sur cette ville richissime, grâce aux revenus fiscaux générés par la Défense, pendant trente-cinq ans. La SFIO étant historiquement l’un des vecteurs de recrutement de la Grande Loge de France-tandis que les radicaux allaient au GO-, c’est auprès de cette obédience que Charles Ceccaldi-Raynaud a fait ses classes. Dans une lettre adressée en 2007 à la chambre régionale des comptes, où il vantait avec enthousiasme l’excellence de sa gestion municipale, l’ancien édile, qui fut le suppléant de Nicolas Sarkozy à l’Assemblée nationale en 1993-il y siégea grâce à l’entrée de celui-ci dans le gouvernement Balladur-, n’hésitait pas à comparer Puteaux à une « nouvelle Carthage », une référence maçonnique transparente. Il a eu pour conseiller municipal puis comme adjoint un frère très apprécié, l’ancien fonctionnaire de la DST Roger Latapie. Sa popularité en loge n’était peut-être pas étrangère au fait qu’il a mis pendant des années un temple gratuit à la disposition de la GLNF !
Faire le tour des maçons dans les Hauts-de-Seine serait long et fastidieux. A Rueil-Malmaison, le frère Patrick Ollier a succédé au frère Jacques Baumel. A Suresnes, le maire Christian Dupuy est le fils de l’ancien grand maître de la Grande Loge Richard Dupuy, qui avait demandé un point de chute pour son fils avant les municipales de 1983. Le jeune avocat, alors âgé d’à peine plus de 30 ans, avait réussi l’alternance en succédant à un autre franc-maçon, le socialiste Robert Pontillon.
Mais tous les frères des Hauts-de-Seine ne sont pas les amis de Sarkozy. Ainsi de Patrick Ollier, dont la cote d’amour n’a jamais été bien élevée. C’est en revanche sur ces terres que le futur président a rencontré de nombreux amis initiés. Patrick Balkany ne peut être cité à ce titre, car il dément fermement appartenir à la Grande Loge, ce qui provoque toujours quelques sourires amusés. Brice Hortefeux, lui, assistait aux Journées nationales pour la jeunesse de l’UDR en 1976. C’est lors de cette manifestation que le jeune Sarkozy est monté pour la première fois à la tribune. La légende raconte qu’un grand étudiant blond, alors tout juste majeur, s’est présenté dès le lendemain à la permanence du parti gaulliste à Neuilly, où il résidait. C’était Hortefeux. [...] Très discret, il refuse de confirmer ou de démentir son ancienne appartenance, pourtant confirmée par plusieurs témoignages.
Brice a été témoin du premier mariage de Nicolas et parrain de son fils Jean, aujourd’hui conseiller général des Hauts-de-Seine. Pour Manuel Aeschlimann, c’est l’inverse. Nicolas Sarkozy, qui a été témoin à son mariage, est le parrain de l’un de ses enfants, un garçon prénommé Lohengrin. Mais avec Aeschlimann, Nicolas Sarkozy a sûrement fait moins « bonne pioche » qu’avec Horfefeux. Après avoir pris la mairie d’Asnières en poussant vers la sortie le maire de l’époque, le compagnon de la Libération Michel Maurice-Bokanowski, en 1991, il a été désavoué par les électeurs aux municipales de 2008. Depuis, il n’est plus que député. Et n’a plus la même proximité avec son ami. Il fut, pendant la campagne présidentielle de 2007, dans le premier cercle, avec un beau titre de « conseiller opinion » du candidat. Manuel Aeschlimann est entré à la GLNF peu après son arrivée à la mairie d’Asnières. A l’époque, il racontait avec amusement à ses collaborateurs son initiation, un passeport de plus pour la carrière. Mais, lorsqu’on l’interroge aujourd’hui, il fait démentir avec un aplomb remarquable par l’un de ses collaborateurs.
Reste le cas de Patrick Devedjian, qui dément appartenir au club alors que des frères peu suspects de mythomanie se souviennent du jeune avocat en tablier. Avec Patrick Devedjian et Brice Hortefeux, Christian Estrosi représentait au début du quinquennat l’avant-garde du canal historique sarkozyste au gouvernement, qu’il a quitté après les municipales de 2008. Une éviction à laquelle les francs-maçons n’étaient d’ailleurs pas étrangers. Il est lui aussi passé sous le bandeau à la GLNF, qu’il a fréquentée dans une loge de la Côte d’Azur, France 7, dont l’ancien maire de Cannes, Michel Mouillot, le fera évincer pour cause de dilettantisme.
Si l’on récapitule, les frères ont jalonné le parcours du président et sont encore nombreux autour de lui : dans le premier cercle, si l’on excepte Patrick Balkany, qui assure ne pas être concerné, on compte Brice Hortefeux, Christian Estrosi et bien sûr Xavier Bertrand, qui a montré, en révélant son appartenance au Grand Orient dans L’Express, en 2008, que l’on peut se montrer transparent sur ce sujet sans le moindre inconvénient.
Au total, les instances dirigeantes de l’UMP comme le gouvernement comptent donc dans leurs rangs quelques personnalités formées dans les colonnes du temple.
Le cabinet du président de la République aussi compte plusieurs personnalités qui ont fréquenté les loges, à commencer par son plus proche collaborateur, le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant. Celui-ci ne confirme ni ne dément cette appartenance, qui remonte d’ailleurs à quelques années.On n’a pas non plus vu depuis longtemps dans les couloirs de la GLNF Pierre Charon, surnommé le conseiller « rire et chansons » du président, chargé de mille choses, des contacts avec le show-business au chaperonnage de Carla en passant par la surveillance à distance de la villa de Christian Clavier en Corse. Il reste qu’il fait aussi partie des sarkozystes historiques. Ancien conseiller de Jacques Chirac pour la presse, il a été écarté, à l’époque, par la jeune Claude, qui voulait le job pour elle toute seule.
Pierre Charon assure à tous ses amis depuis des années qu’il n’est pas franc-maçon, et c’est une occasion de plus de les faire rire. Il est pourtant formel : il a certes côtoyé dans sa prime jeunesse des personnes qui ont par la suite reconnu leur appartenance, mais elles n’avaient pas encore été initiées. Charon est un précoce. En 1974, il n’a que 23 ans mais est déjà fou de politique. Il préside alors, avec Michel Vauzelle-un frère qui codirigea la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1981 et est aujourd’hui président de la région Paca-, le comité de soutien des jeunes à Jacques Chaban-Delmas, en compagnie d’un autre franc-maçon de choc qui fera parler de lui dans les pages « faits divers » au début des années 80 : Didier Schuller, l’ancien directeur de l’office HLM des Hauts-de-Seine. Une bataille perdue, mais le jeune Charon reste un fidèle de Chaban. En 1978, il se rend pour la première fois à l’Elysée. Il a rendez-vous avec le préfet Riolacci, conseiller de VGE, pour lui demander que le parti du président ne présente pas le candidat contre son mentor pour la présidence de l’Assemblée nationale. Chaban bat Edgar Faure de quelques voix et tient le « perchoir » de l’Assemblée nationale de 1978 à 1988. A l’hôtel de Lassay, Pierre Charon fait partie du cabinet.
C’est à cette époque qu’il fonde sa fraternelle à lui, qui, assure-t-il, n’a rien de maçonnique. Le Club de la cravate, puisque tel est son nom, compte dix-sept membres fondateurs dont de nombreux policiers de haut rang, tels Ange Mancini, aujourd’hui préfet de la Martinique, Jacques Poinas, inspecteur général et ancien patron de l’Uclat, ou encore Claude Cancès, lui aussi inspecteur général et ancien patron de la police judiciaire, quelques hommes de médias comme Pierre Lescure, ainsi que des profils plus improbables comme le pilote automobile Hubert Auriol. On compte quelques frères dans la bande ? Charon répète que ce n’est pas l’objet, qu’il s’agit juste d’une bande de bons copains qui s’entraident et se reçoivent. Pourquoi le Club de la cravate ? Parce que Pierre Charon, président à vie, a fait fabriquer dix-sept cravates club identiques, à bandes verticales, rouges et jaunes avec des points noirs.
Aujourd’hui, les anciens copains ne se réunissent plus comme avant, même si l’on a vu certains d’entre eux dans un restaurant de Clichy, à l’automne 2008. Le conseiller du président, lui, occupe un bureau avec vue sur cour à l’Elysée. Il est le coach, le confident, le « conseiller de Carla » et se charge de déminer toutes les sales histoires pour « Nicolas ». Un poste stratégique qu’il trouve manifestement bien plus exaltant que la fréquentation des loges.
Un grand maître à l’Elysée
Avant même de devenir président et de pratiquer l’ouverture politique, Nicolas Sarkozy s’est rapproché d’un franc-maçon venu de la gauche. Elu grand maître du Grand Orient à 38 ans, en 2000, Alain Bauer cumule plusieurs vies, qu’il se plaît parfois à enjoliver. S’il assure avoir appartenu au cabinet de Michel Rocard à Matignon entre 1988 et 1991, les conseillers qui y travaillaient quotidiennement, eux, ne gardent pas ce souvenir. « Depuis longtemps gravitaient dans l’orbite de Rocard trois jeunes gens très intelligents et très carriéristes, se souvient un collaborateur de toujours de l’ancien Premier ministre. Alain Bauer, Manuel Valls, aujourd’hui député maire d’Evry, et Stéphane Fouks, le seul des trois à n’être pas franc-maçon. Ils s’étaient partagé le marché. Au premier l’influence, au deuxième la politique, au troisième le monde des affaires. [...] »
Alain Bauer est aussi criminologue. Chantre de la « tolérance zéro », il a vu son étoile monter à la fin des années 90, quand la théorie de l’« excuse sociale » n’a plus convaincu. Consulté à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, il a su trouver le ton qu’il fallait pour retenir son attention.
Au printemps 2006, Nicolas Sarkozy lui demande de dresser une liste de grands maîtres qu’il pourrait inviter Place Beauvau. A l’époque, les deux hommes se vouvoient encore : « Est-ce que vous voudriez venir au déjeuner pour faire les présentations ? » demande le ministre. Bauer a déjà anticipé en téléphonant lui-même à chacun des intéressés. Il s’empresse donc d’accepter. [...]
Au cours d’une de leurs rencontres, à l’été 2006, il est surtout question de sécurité. Mais Bauer finit par apostropher le candidat à la présidentielle d’une façon assez « gonflée » : « Tu souffres d’un grave problème structurel. Tu penses que la République est comme une grande commode dans laquelle il y aurait plein de tiroirs que l’on ouvrirait les uns après les autres pour gérer le contenu de chacun. Tu as une image de libéral qui donne l’impression de ne pas être républicain. Personne d’autre parmi les candidats, pas même ceux d’extrême gauche, n’est susceptible comme toi d’être l’objet d’un procès en antirépublicanisme. Si tu continues, tu vas faire une campagne à cloche-pied. »
Sarko commence par s’agiter, signe d’agacement lorsqu’il entend ce diagnostic. Puis un grand silence s’installe dans le bureau, avant qu’il concède : « Tu as raison. »
Nouveau silence.
« Puisque tu es si intelligent, t’as qu’à me faire des propositions. »
Alain Bauer s’empresse de rédiger quelques feuillets où il invoque le drapeau, Valmy, Jaurès et Blum. Il l’envoie au ministre de l’Intérieur qui doit s’envoler pour Marseille, où il doit prononcer durant le premier week-end de septembre un grand discours de rentrée à l’occasion de l’université d’été des Jeunes populaires. Par curiosité, Alain Bauer écoute la radio le 3 septembre pour savoir si son nouveau champion a tenu compte de ses conseils. Et là, ses espoirs les plus fous sont dépassés. Il retrouve des passages entiers de la note qu’il a envoyée au candidat. Extraits : « Quand Jaurès disait aux lycéens : "Il faut que, par un surcroît d’efforts et par l’exaltation de toutes vos passions nobles, vous amassiez en votre âme des trésors inviolables", c’était le contraire du nivellement prôné par la gauche d’aujourd’hui. [...] . »
Puis, dans une très longue tirade, le mot République revient plusieurs fois par phrase-il sera prononcé plus de vingt fois par le candidat, avec notamment cette apostrophe : « Jeunes Français, la République est à vous. La République, c’est vous. »
Pour Sarkozy, c’est un triomphe : la salle se lève et applaudit comme jamais. Pour Bauer, c’est l’heure de gloire. Et, comme on ne change pas une équipe qui gagne, le ministre de l’Intérieur lui demande une trame de discours pour sa visite à Périgueux, la ville de Xavier Darcos, le 12 octobre. Sur cette terre maçonnique, le candidat prononcera un discours intitulé « Notre République ». Alain Bauer l’a truffé de références à Eugène Le Roy, écrivain, franc-maçon et auteur du célèbre « Jacquou le Croquant ». Il a mobilisé toutes les ressources du Grand Orient pour le nourrir et a même mis à contribution le directeur de la bibliothèque de l’obédience.
Mais l’ancien grand maître du Grand Orient n’est pas seulement devenu l’inspirateur du ministre de l’Intérieur. Il a fait aussi fonction, à l’occasion, de tour operator. Entre le discours de Marseille et celui de Périgueux, le futur président s’envole pour les Etats-Unis. Une visite très symbolique. Depuis le discours de Dominique de Villepin à l’Onu, en mars 2003, pour s’opposer à la guerre en Irak, la cote de la France est au plus bas. Il s’agit de la faire remonter, de se montrer gracieux avec toutes les incarnations de l’Amérique éternelle. La date du voyage n’a pas été choisie par hasard : Nicolas Sarkozy sera sur place le 11 septembre, tout un symbole.
Qui peut mettre du liant entre le ministre de l’Intérieur et l’administration de George Bush ? L’ambassadeur à Washington Jean-David Levitte, bien entendu. Surnommé « diplomator » , on le dit capable de réconcilier les pires ennemis. Mais un autre gentil organisateur se mêle de recoller les morceaux après la grande fâcherie de 2003. Alain Bauer a vécu aux Etats-Unis, où il a travaillé pour une entreprise de sécurité. Ses détracteurs assurent même qu’il s’agissait d’une couverture de la CIA ou, plus piquant encore, de la NSA, la très secrète National Security Agency. Le principal intéressé balaie ces allégations avec un amusement théâtral.
Dans le cadre de ses activités de consultant spécialisé dans la sécurité, il a en revanche un contrat avec la police de New York, le célèbre NYPD. Il planifie donc une rencontre avec remise de médaille à Raymond Kelly, patron de la police new-yorkaise, le samedi 9 septembre, tandis que le 10, veille de la date anniversaire, une visite est prévue à la caserne des pompiers. Il laisse aussi entendre que ses contacts à la Maison-Blanche n’ont pas été inutiles. Il s’associe aussi à la collecte de fonds et de soutiens, à l’occasion d’un dîner chic à Manhattan en l’honneur du candidat de la droite, où même les gauchistes de Park Avenue le trouvent délicieusement plus fréquentable que Ségolène Royal.
Présidentielle : jamais sans mes frères
« C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République que les deux principaux candidats ont autant de francs-maçons dans leur entourage le plus proche », se réjouit Pierre Mollier, directeur de la bibliothèque et du musée de la Franc-Maçonnerie au Grand Orient de France, pendant la campagne présidentielle. [...] Mais s’il se montre si satisfait, c’est que même dans l’entourage de Nicolas Sarkozy on trouve des frères du GO, traditionnellement ancrés plutôt à gauche. [...] Côté Ségolène, l’un de ses soutiens de la première heure a été le sénateur maire de Lyon Gérard Collomb [...] Le codirecteur de campagne François Rebsamen [...] a conservé un réseau très vivace au sein des loges ; tout comme le Marseillais Patrick Mennucci [...] Sans ce maillage, le ralliement de Jack Lang à la présidente de Poitou-Charentes n’aurait pas été aussi rapide. [...] la politique, même au plus haut niveau, est parfois simple comme une tenue en loge !
« Un Etat dans l’Etat », de Sophie Coignard (Albin Michel, 336 pages, 20 E)
A droite, silence radio
Renaud Dutreil
Il a été député, ministre et fut même le premier président de l'UMP lors de sa création, en 2002. Initié à la GLNF, il a toujours nié cette appartenance. Après son échec aux municipales à Reims, en 2008, il s'est éloigné de la politique pour diriger la filiale de LVMH aux Etats-Unis.
Patrick Devedjian
Le ministre de la Relance ne fréquente plus les loges et dément avoir été franc-maçon. Une attitude qui déçoit de nombreux frères. Au début de sa carrière, en revanche, le jeune député maire d'Antony ne se dissimulait guère puisqu'il a même adhéré à la Fraternelle parlementaire.
Brice Hortefeux
« Never explain, never complain » : ce pourrait être la devise du plus ancien ami de Nicolas Sarkozy. Puisque beaucoup de frères assurent l'avoir croisé en loge, il a choisi de ne pas commenter. Ni démenti ni confirmation : une attitude prudente de la part du ministre des Affaires sociales.
Alain Lambert
Candidat « libre » à la présidence du Sénat, puisqu'il a refusé de se soumettre à la primaire de l'UMP, il assure n'avoir jamais été franc-maçon. La discrétion de l'ancien ministre du Budget de Raffarin est respectée, y compris par ses frères de la GLNF, qui apprécient cet homme de convictions.
A chacun son grand maître
Un point commun entre les trois derniers présidents de la République : chacun avait son grand maître. Pour Giscard, c'était Jean-Pierre Prouteau, premier patron du Grand Orient à s'être prononcé en faveur d'un candidat de droite. Mitterrand, lui, avait un admirateur inconditionnel en la personne de Roger Leray, un ancien ouvrier ajusteur qui a incarné l'une des vertus que la franc-maçonnerie ne pratique plus assez, celle de l'ascenseur social. Mitterrandolâtre sans retenue, Roger Leray n'a jamais perdu une occasion de clamer son admiration pour l'ancien chef de l'Etat, même quand il a été nommé par Michel Rocard, alors Premier ministre, membre de la mission de réconciliation sur la Nouvelle-Calédonie. Chirac, lui, avait Michel Baroin, l'ancien commissaire des Renseignements généraux venu infiltrer le Grand Orient et qui a si bien rempli sa mission qu'il en est devenu le patron. Mais, quand Chirac remporte, à la troisième tentative, l'élection présidentielle, Baroin a quitté ce monde depuis longtemps, victime d'un accident d'avion au Cameroun
A gauche, on laisse dire
Manuel Valls
Lorsqu'il était jeune rocardien, dans les années 80, Manuel Valls se promenait rarement sans ses deux acolytes Alain Bauer et Stéphane Fouks. Le premier devint grand maître du Grand Orient de France, obédience à laquelle le député maire d'Evry a adhéré, avant de prendre du champ.
Jean-Luc Mélenchon
Le sénateur de l'Essonne et fondateur du Parti de gauche incarne à la perfection une idée de la franc-maçonnerie éprise de laïcité, même s'il n'aime pas s'exprimer publiquement sur son appartenance. Il défend une vision de la République incompatible avec le régionalisme.
Henri Emmanuelli
Député des Landes depuis mars 1978, Henri Emmanuelli, ancien ministre, ancien président de l'Assemblée nationale, n'a jamais fait étalage de son appartenance. Mais, comme beaucoup de parlementaires de gauche, il l'assume puisqu'il a siégé longtemps à la Fraternelle parlementaire.
François Rebsamen
Le lieutenant de Ségolène Royal, qui fut longtemps le numéro deux du PS, est très connu au Grand Orient de France. Même s'il assure s'être mis en sommeil depuis son élection à la mairie de Dijon, en 2001, il conserve de nombreux contacts au sein de la première obédience française.
Les grandes obédiences
Grand Orient de France grand maître : Pierre Lambicchi, 50 000 membres,masculine.
Grande Loge nationale française grand maître : François Stifani, avocat, 41 000 membres,masculine.
Grande Loge de France grand maître : Alain Graesel, consultant et enseignant, 30 000 membres, masculine.
Grande Loge féminine de France grande maîtresse : Yvette Nicolas, ancienne assistante de Raymond Barre, 12 500 membres,féminine.
Fédération française du droit humain (DH) grand maître : Michel Payen, proviseur de lycée,16 000 membres,mixte.
La rumeur giscard
Côté Grande Loge, la légende raconte qu'en 1975 Michel Poniatowski, ministre de l'Intérieur et homme de confiance de Giscard, convoque le docteur Pierre Simon, grand maître de la GLDF, pour lui montrer le compte rendu d'une écoute téléphonique qui désigne un autre haut dignitaire de son obédience, un concurrent en quelque sorte, comme informateur de l'hebdomadaire d'extrême droite Minute . C'est de cette rencontre que seraient nées les premières conversations. Elles ont cessé lorsque Pierre Simon a perdu son poste, à la fin de l'année 1975. Ces échanges sont avérés. Aucun élément ne permet d'assurer qu'ils portaient sur une éventuelle initiation du président.
Cette rumeur persistante vient peut-être de la déformation d'une histoire, vraie celle-ci : la candidature avortée de VGE au Jockey Club, où de bonnes âmes ont eu la courtoisie de le dissuader de se soumettre formellement aux suffrages de ses distingués membres, lui assurant qu'il serait impitoyablement « blackboulé » (1)
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