Accusés de plomber l'économie, de mépriser leurs clients, de s'adjuger des revenus mirobolants, ils sont stigmatisés de toutes parts. Non sans raison : ils ont péché par arrogance, irresponsabilité ou encore dogmatisme. Et pourtant il faut bien sauver le système bancaire. Sinon...
La semaine prochaine, BNP Paribas et la Société générale, puis, le 4 mars, le Crédit agricole présenteront leurs résultats 2008. Les trois grandes banques françaises afficheront des bénéfices confortables. De l'ordre de 6 à 7 milliards d'euros. Moitié moins qu'en 2007, tout de même. Mais, dans les états-majors, on ne se fait guère d'illusions. Une fois encore, dans les dîners en ville, entre amis, près de la machine à café, les Français ne vont pas manquer de pourfendre ces banques qui n'hésitent pas à tendre la sébile à l'Etat, de fustiger « ces banquiers qui se goinfrent » alors que le pays s'enfonce dans la crise.
B. Tessier/reuters
De gauche à droite: Frédéric Oudéa - Société générale. Baudouin Prot - BNP Paribas. Philippe Dupont - Banque populaire. Bernard Comolet - Caisses d'épargne. Georges Pauget - Crédit agricole.
« En France, depuis les Templiers, on a toujours brûlé les financiers. C'est presque un sport national ! » tente, crânement, de minimiser l'une des figures de la place. Au lendemain de la Grande Dépression, le ministre des Finances du Front populaire, Vincent Auriol, ne lançait-il pas déjà : « Les banques, je les ferme. Les banquiers, je les enferme » ? Depuis quelques mois, pourtant, jamais leur impopularité n'a atteint un tel degré. Les éternels mal-aimés sont devenus les nouveaux boucs émissaires. L'heure de la curée a sonné. Et c'est à qui se montrera le plus féroce. De l'homme de la rue à Nicolas Sarkozy, des parlementaires à Ségolène Royal. A tous les étages on bouffe du banquier ! Ici comme ailleurs. Depuis son élection, Barack Obama leur a réservé ses plus belles diatribes et José Luis Zapatero vient de les « recadrer » au palais de la Moncloa, le Matignon espagnol. Même Jean-Claude Trichet, le très modéré président de la Banque centrale européenne, y est allé de sa remontrance : « Nous attendons du secteur bancaire qu'il apporte sa contribution pour restaurer la confiance. » En langage de banquier central, vu de Francfort, cela vaut condamnation.
Tous coupables, les financiers ?
Cette mise au ban, universelle, a quelque chose de caricatural. Elle s'explique cependant tant la profession a « déconné grave », selon le mot de Jean-Marie Messier, ex-patron de Vivendi Universal. Accusés, levez-vous !
Leurs meilleurs avocats ont beau plaider l'irresponsabilité des régulateurs ou l'incompétence des agences de notation, les banques - américaines en tête - sont à l'origine de la crise. En inventant, notamment, les crédits subprimes - des prêts spécialement conçus pour une clientèle désargentée - puis en les diffusant, elles « ont oublié que le coeur de leur métier était d'évaluer les risques et, pis encore, les ont transférés à d'autres », relève dans un livre qui vient de paraître (1) l'un des piliers de Lazard Paris, Matthieu Pigasse.
Elles ont aussi mis le système en péril. Pour la première fois depuis 1929, les déposants se sont demandé si leur argent était en sécurité sur leur compte en banque. En clair, on a frôlé le bank run. Les dirigeants se sont-ils excusés ? Pas une seule fois.
Parfois nationalisées, sous perfusion ou simplement soutenues, la majorité d'entre elles a désormais fait appel à l'Etat et donc aux contribuables. En retour, entreprises et particuliers attendaient un peu plus de compréhension face aux difficultés grandissantes. Les banquiers assurent qu'ils jouent le jeu, mais il aura tout de même fallu, en France, nommer un médiateur du crédit pour veiller à ce qu'ils financent correctement l'économie. « Trop de risque hier, trop de prudence aujourd'hui », leur assénait, dès cet automne, le chef de l'Etat.
Les banquiers ont fait preuve de myopie politique
Partout, les banquiers ont fait preuve d'une incroyable myopie politique. L'Elysée a dû leur tordre le bras pour qu'ils renoncent à leurs bonus. Non content d'avoir engrangé pendant des années des rémunérations à la limite, pour tout à chacun, de l'indécence, tous n'avaient pas l'air convaincu de devoir payer leur tribut à la crise. De son côté, Barack Obama y est allé de son coup de gueule. « C'est le comble de l'irresponsabilité, c'est honteux ! » s'est-il emporté, avant de décider de plafonner à 500 000 dollars le salaire annuel des dirigeants d'établissements renfloués par l'Etat. Un vrai électrochoc.
Allez vous étonner après cela que le divorce soit total entre les opinions publiques et les élites de la finance, devenues un sujet de raillerie en or. En ce moment, sur la Toile, les internautes se délectent d'une vidéo, parodie d'une réunion des Alcooliques anonymes à la sauce traders : « Qui veut se lancer ? Charles ? - Bonsoir, je m'appelle Charles et je n'ai pas fait d'investissements hasardeux depuis deux mois... - Bravo, Charles ! [applaudissements] » Une bonne façon d'évacuer le stress ? Car, désormais, la clientèle se montre plus inquiète au guichet. Fin janvier, selon un sondage Ifop paru dans Le Journal du dimanche, 46 % des Français jugeaient les banques pas assez solides pour faire face aux suites de la crise financière. Commentaire d'un représentant de l'institut : « Si la confiance n'est pas rompue, elle est largement entamée. »
Interrogés, les professionnels trouvent ces attaques « excessives » et même « injustes ». « On atteint des sommets de violence et de désinformation. Cela commence à bien faire », s'agace une porte-parole de la Fédération bancaire française. Les banques tricolores soulignent - à juste titre -qu'elles ont été beaucoup plus sages que leurs consoeurs américaines et même que leur situation financière est plus enviable que celle de la plupart des établissements européens. Somme toute, elles traversent d'ailleurs plutôt bien la tempête. Elles rappellent aussi que l'argent qu'elles reçoivent sera intégralement remboursé et qu'il rapportera chaque année plus de 1 milliard d'euros à l'Etat. Certes. Elles n'en sont pas moins fragilisées. Hier trop souvent hautain, voilà aujourd'hui l'establishment bancaire sur la défensive, tenu de rendre des comptes et, pour tout dire, sous tutelle.
"Cessons la diabolisation"
Gare cependant à ne pas aller trop loin. « Il faut cesser de nous diaboliser ! » implore le patron de la Société générale, Frédéric Oudéa. Après tout, ceux qui les dénoncent, pouvoirs publics en tête, se sont aussi montrés, pour le moins, laxistes et aveugles. A présent, l'urgence est de remettre à flot le système financier. « Le redressement de l'économie ne pourra avoir lieu qu'une fois le bilan des institutions bancaires consolidé », martèle Olivier Blanchard, chef économiste du Fonds monétaire international. Le chantier est considérable. Selon les dernières prévisions du FMI, justement, les pertes totales des banques dans le monde s'élèveraient à 2 200 milliards de dollars d'ici à 2010. Et le pire pourrait bien être encore à venir des Etats-Unis. Les banquiers ne sont pas sortis du purgatoire.
(1) Le Monde d'après. Une crise sans précédent, par Matthieu Pigasse et Gilles Finchelstein. Plon.
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