samedi 16 octobre 2010

Encore une réforme ratée pour le Président Sarkozy

Le blog d'éconoclaste


Encore une réforme ratée pour le Président Sarkozy
stéphane | samedi 16 octobre 2010 | 15:28 | EcoBlabla | # 1747 | rss | PDF

Si l'on devait résumer l'insuffisance de la réforme des retraites votées ces jours-ci, on pourrait faire référence à ce qui se dirait à Bercy, à savoir que puisqu'elle dérange, c'est qu'il s'agit d'une vraie réforme. Depuis quand une vraie réforme est-elle une bonne réforme ?

Opposer la rue, la Gauche, les syndicats d'un côté et le gouvernement et les gens raisonnables est une lecture aussi stupide que malheureusement concrétisée par l'opposition en cours. Les économistes ont globalement un point de vue différent, on s'en serait douté, même quand dans le feu de l'action politique, ils choisissent un camp. Tous relèvent que l'équilibre du système n'est à peine garanti que jusqu'en 2020. Laurence Boone signalait récemment que si des modifications prévisibles sont obtenues par les syndicats, cet horizon se réduira encore. Ainsi, à cette réforme, une autre devra succéder. Et c'est bien là que le bat blesse et conduit les gens à se montrer défiants vis-à-vis du texte actuel.

La nécessité de pérenniser le système est admis par une large majorité des Français. Le fait que cela ne sera pas, en probabilité, sans coût, qu'il s'agisse de cotisations plus élevées, de pensions plus faibles ou d'un départ plus tardif ne leur a pas échappé non plus. Pourquoi tant de réticences alors ?

Pour deux raisons essentielles. La première, c'est que le problème de la difficulté à travailler en France n'a toujours pas été considéré dans le projet comme la variable cachée du système de retraites français. La difficulté ne réside pas fondamentalement dans la question du chômage, y compris celui des seniors. Bien qu'il soit élevé, et que le taux d'activité des seniors soit faible, reculer de deux ans l'âge de départ en retraite maintient dans l'emploi un nombre non négligeable d'individus. D'autre part, on peut, sans véritablement le chiffrer espérer une modification de la demande de travail vis-à-vis des salariés de 50 ans et plus, du fait du recul du départ à la retraite.

C'est l'occasion d'utiliser brièvement le désormais célèbre modèle d'appariement des tout nouveaux Nobel d'économie. Un emploi représente pour une entreprise un gain et un coût. Le coût se mesure à divers degrés, avant l'embauche et pendant le contrat. Dans ces derniers, on peut citer le coût de l'intégration au poste et l'effort du salarié (qu'on peut supposer décliner à l'approche de la retraite). L'allongement de la durée de travail a pour effet d'accroître les gains cumulés d'un emploi et donc d'accroître la différence entre les gains et les coûts de l'emploi. En d'autres termes, si j'embauche quelqu'un qui me rapporte 50 par an et me coûte 150 à installer, je dois l'embaucher au moins pour 3 ans pour compenser (sans actualiser, pour faire simple). Un départ en retraite plus tardif accroît donc l'intérêt d'embaucher des salariés plus âgés, toutes choses égales par ailleurs. Sans ignorer les autres freins à l'embauche d'ordre socio-psychologique, on peut s'attendre à une amélioration, aussi marginale soit-elle, sur l'emploi des seniors. Au passage, il est assez cocasse et déprimant de constater, comme j'ai pu le faire aujourd'hui à la télévision, que des représentants de l'UNEF tiennent le discours arithmétique sur le chômage selon lequel plus de seniors sur le marché du travail, c'est moins de travail pour les jeunes. Cocasse, parce que je me souviens d'un ministre de Jacques Chirac, sous le gouvernement Villepin, qui nous annonçait qu'avec le départ en retraite des Baby Boomers, les portes de l'emploi s'ouvriraient grandes pour les jeunes. Ce ministre n'était autre que François Fillon. Et les portes sont restés plutôt closes. Déprimant, parce que cette idée que le nombre d'emplois dans une économie est une constante exogène est fausse mais a la vie dure.

Ainsi donc, si le chômage des seniors n'est pas anodin, on peut espérer que la situation ne s'aggrave pas. Le fond du problème est donc ailleurs. Il réside dans ce qu'on peut appeler la toxicité du travail en France. On dispose désormais sur le sujet aussi bien de faits divers que d'analyses fouillées. Du côté des économistes, Philippe Askenazy posait dès 2004 le problème. Depuis, Thomas Philippon et Eric Maurin (qu'il est encore bien temps de lire et... de chroniquer !) ont apporté des contributions très éclairantes. On pourrait les résumer en disant que le travail est au centre des préoccupations de français, davantage que de celles des habitants de pays comparables. Nous considérons le travail comme une valeur importante et comme une activité particulièrement épanouissante par nature. Dans le même temps, l'organisation de nos entreprises et les relations sociales qui y prévalent, le fonctionnement du marché du travail et du système éducatif produisent une crainte du déclassement qui conduisent à nous accrocher à un emploi, même lorsque celui-ci est particulièrement insatisfaisant. De ce point de vue, la retraite est la libération ultime. La retarder de deux années est une rude perspective.

Ce phénomène est la raison essentielle pour laquelle deux années de plus sont deux années de trop dans notre pays. Rien ne justifie que la réaction du français moyen soit différente de celle de ses homologues des pays européens où l'âge du départ à la retraite est à plus de 60 ans. Mais ce n'est pas la seule. La seconde peut du reste y être en partie rattachée, comme on va le voir.

Au jour d'aujourd'hui, hormis le fait que l'on partira deux ans plus tard à la retraite, quelle garantie nous donne-t-on ? Comme le dit un slogan qui semble se diffuser petit à petit : "Pourquoi 62 ans (ou 67 ans selon les versions) ? Pourquoi pas 69, quitte à se faire baiser...". C'est en cela, notamment, que la réforme dont certains sont si fiers à Bercy - parce qu'elle dérange -, est absolument lamentable. Elle donne des certitudes sur les coûts, mais n'offre absolument pas de perspectives en matière ni de gains, ni de possibilité de lisser les coûts dans le temps. On le sait pourtant, il existe une solution générique qui ne donne pas de repas gratuit mais remet en perspective le contrat social entre générations. L'outil technique repose sur les "comptes notionnels". Antoine Bozio (eh, Antoine, si tu me lis, je suis en train de lire votre repères, chronique à venir...) et Thomas Piketty ont formulé une proposition en ce sens dans un opuscule du CEPREMAP chroniqué sur ce site. Avantage du système : à tout moment, on serait en mesure d'évaluer nos droits à la retraite, dans les grandes lignes du moins. Ce n'est pas le cas actuellement, en raison du manque de lisibilité de notre système, l'absence d'unification des systèmes étant un aspect majeur du problème. Or, non seulement la réforme actuelle ne rend pas plus lisible les droits à une échéance de disons 20 ans mais, de surcroît, elle crée une anxiété supplémentaire par l'incertitude qui pèse sur les réformes à venir.

Je parle d'outil technique car les comptes notionnels, comme n'importe quelle mesure touchant les retraites, ne règleront pas à eux seuls l'insoluble question des retraites. Ils sont simplement un cadre adapté à une démocratie libérale. En premier lieu, ils offrent des possibilités de choix individuels en créant un cadre où les individus peuvent prévoir et agir. Rappelons qu'un des résultats de la psycho-économie est de montrer que nous n'épargnons jamais assez, y compris quand nous disposons d'une bonne information. Inutile de dire que ce biais est démultiplié quand nous n'avons que très peu d'information sur le futur... Et je sais de quoi je parle...

En second lieu, comme la solution proposée par Bozio et Piketty le montre clairement, au delà des choix individuels, ce système est un cadre ouvert, qui rend possible la délibération démocratique, la définition de critères de justice sociale prenant en compte des questions comme la répartition entre générations des fruits des périodes de plus ou moins grande prospérité, les questions de pénibilité et autres sujets qui touchent à la définition de ce qu'est une société juste.

Or, pour mettre à plat le système actuel et le refonder sur de telles bases, il aurait fallu du temps, des années. Hélas, comme l'ont montré Pierre Cahuc et André Zylberberg dans un ouvrage récent, Nicolas Sarkozy a choisi une méthode générique de réforme qui est à mille lieux de pouvoir accoucher d'autre chose que de poudre aux yeux et d'arrangements entre amis ou ennemis. Eh oui, je ne peux pas en vouloir aux gens qui manifestent de ne pas faire confiance à la majorité. Et si je suis bien loin de partager la plupart des arguments avancés pour me traîner dans la rue, je comprends très bien leur angoisse. Peut-être que seule une forme de cynisme (ou de stoïcisme, je ne sais pas) et un peu plus de compréhension des phénomènes sous-jacents m'évite de sombrer dans la phobie de la réforme des retraites...

Cette réforme est mauvaise. Il faudra autre chose.

Dans un esprit similaire, avec un angle d'approche complémentaire, on peut signaler cet intéressant billet.

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