vendredi 6 août 2010

Grippe A. Le rapport du sénat « Quand les labos du médicament disposent de l’État »

Société - le 6 Août 2010

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Grippe A. Le rapport du sénat « Quand les labos du médicament disposent de l’État »

Le texte de la commission d’enquête du Sénat sur le « rôle des firmes pharmaceutiques 
dans la gestion par 
le gouvernement de 
la grippe A » est sévère sur les dérives de l’OMS et sur la façon dont 
le gouvernement s’est laissé manipuler par les fabricants de vaccins.

Le plan de l’OMS comme le plan français sont tous deux « calibrés » pour une menace pandémique grave (…) Il en résulte des plans de lutte, élaborés dans le cas de la France avec l’aide du secrétariat général de la défense nationale, préconisant des mesures très lourdes à mettre en œuvre (…) La forte mobilisation des États et l’ampleur de leurs investissements en vue de répondre à une éventuelle pandémie ont beaucoup surpris.



La définition de la pandémie retenue par l’OMS a également joué un rôle central dans le déclenchement des plans nationaux de préparation au risque pandémique. En ne retenant pas de critère de gravité, elle n’a pas joué son rôle de « filtre ». En revanche, comme cela sera développé dans la suite du présent rapport, les orientations de l’OMS de 2009 définissent clairement la pandémie du seul point de vue de sa diffusion géographique, sans retenir de critère de gravité. Cette absence de référence à la notion de gravité a ainsi conduit l’OMS, le 11 juin 2009, à déclarer le passage en phase 6 du plan de lutte contre la pandémie grippale, tout en reconnaissant que celle-ci était « de gravité modérée ».



Les critiques adressées à l’OMS sur son incapacité à gérer les conflits d’intérêts (entre intérêts privés et intérêt public – NDLR) et son opacité ont donné lieu à une enquête approfondie des journalistes Deborah Cohen et Philip Carter, publiée le 3 juin 2010 dans le British Medical Journal (BMJ). Ils font apparaître que de nombreux liens d’intérêts des experts de l’OMS ne seraient pas déclarés, que des conflits d’intérêts apparaissent ignorés : ainsi, certains experts ayant préparé le premier plan mondial de l’OMS de préparation à une pandémie grippale, publié en 1999, travaillaient alors pour des entreprises pharmaceutiques ; plusieurs auteurs des recommandations de l’OMS en 2004 sur l’utilisation des vaccins et des antiviraux en cas de grippe pandémique avaient également des contrats professionnels avec des laboratoires pharmaceutiques.



Faute de ligne de séparation claire entre les experts, l’OMS et les laboratoires, l’influence de ces derniers sur les recommandations de l’OMS apparaît, par exemple, dans le rôle donné à la vaccination comme réponse à une pandémie grippale, à l’issue notamment de rencontres entre les industriels, les agences nationales et les représentants des gouvernements. Pour lutter contre une pandémie grippale, les solutions préconisées par les participants à la réunion de Genève des 11 et 12 novembre 2004 sont très favorables aux laboratoires : assouplir les règles relatives aux droits de licence, financer les essais cliniques (comme cela a été le cas aux États-Unis avec les laboratoires Aventis Pasteur et Chiron) et offrir des incitations fiscales. Il était également proposé de transférer aux États la responsabilité des effets indésirables ou de l’inefficacité des vaccins, ce transfert étant justifié par la nécessité de produire des vaccins dans l’urgence et à grande échelle.



Pendant les cinq dernières années, les préparations aux pandémies se sont ainsi essentiellement focalisées sur les « scénarios du pire », conduisant les autorités publiques à réagir à l’apparition du virus A (H1N1) comme s’il s’agissait d’un événement sanitaire sans précédent. Les présupposés concernant la nature des infections émergentes ainsi que leur surveillance poussée en laboratoire ont conduit au fait que la « pandémie annoncée » est insensiblement devenue une « pandémie attendue ». Dans ce cadre, les enjeux personnels liés à la valorisation des travaux de recherche ne doivent pas être minimisés. Comme le notait Yves Charpak, le monde de la recherche est « un monde de compétition extrêmement féroce. Au sein même de chaque institution, dès qu’arrive quelque chose comme une menace de pandémie, tout le monde se bat pour être le premier, pour faire son test diagnostic, parce qu’à la clé, il y a des publications, la reconnaissance professionnelle et la pérennité de l’activité. (…) Une pandémie, c’est l’utilisation de méthodes diagnostiques inventées par les chercheurs sur le virus de la grippe. Il y a un intérêt à espérer, même inconsciemment, que les maladies arrivent ». Or, cette préparation collective, notamment de la communauté scientifique, à l’émergence d’une pandémie s’est autoalimentée, avec l’accroissement de l’activité éditoriale autour de ce sujet.



Bien qu’aucun élément dont elle dispose ne permette à la commission d’enquête de conclure que des préconisations aient été faites en raison des liens d’intérêt de certains experts, elle ne peut que constater que la pandémie de grippe liée au virus A (H1N1) a été l’occasion d’une remise en cause sévère de l’expertise publique dans l’opinion en raison des liens d’intérêt de la majorité des experts avec l’industrie pharmaceutique (…). Aucune politique sanitaire ne pouvant se passer du recours à une expertise structurée, il faut donc trouver les moyens de garantir, au-delà même de l’intégrité morale des personnes, l’impartialité des experts aux yeux du grand public. Dans l’ensemble, on peut constater que plus de 75 % des experts des agences sanitaires déclarent des liens d’intérêt.



Les entreprises cocontractantes ont imposé, outre des commandes fermes et non révisables qui ont rendu impossible toute adaptation de la stratégie vaccinale nationale, des clauses étendues de garantie de leur responsabilité, tout en évitant, quant à eux, de prendre aucun engagement contraignant. Pourtant, la rédaction des avenants 2009 aux marchés Sanofi et Novartis a substitué aux commandes de « traitements » des commandes exprimées en doses, et calculées sur la base de deux doses par vaccin, en se fondant sur le schéma prévu par les dossiers mock-up de vaccins H5N1. L’administration ne semble pas s’être émue de ce doublement automatique du montant des commandes. Il peut donc sembler anormal que l’État ait été contraint de s’engager à acheter près de deux fois plus de vaccins que nécessaire.



Le transfert aux États de la responsabilité afférente aux effets secondaires indésirables ou à l’inefficacité des vaccins pandémiques faisait partie des suggestions avancées, pour encourager la production de ces vaccins, lors de « réunions informelles » associant, sous l’égide de l’OMS, des représentants des laboratoires, des instances chargées d’autoriser la mise sur le marché des médicaments et des autorités sanitaires nationales. Cette suggestion a été retenue par les producteurs, qui ont obtenu une rédaction en ce sens des contrats de fourniture de vaccins pandémiques passés par la France en 2005 et 2009.

(...) Les contrats passés avec GSK et Baxter l’ont été sur le fondement de l’article 3-7° du code des marchés publics, qui exclut du champ d’application de ce code « les marchés qui exigent le secret ou dont l’exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité (…) ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’État l’exige ». Cette description ne correspond guère à un marché de fourniture de vaccins, même pandémiques, et le recours à l’exception de l’article 3-7° du code paraît peu conforme à l’interprétation stricte que donne la jurisprudence nationale et européenne de la portée de cette dérogation, comme le montre une récente et pertinente étude.



S’il était parfaitement justifié que les contrats tiennent compte d’aléas et de paramètres que les fournisseurs ne pouvaient entièrement maîtriser, cela ne pouvait en revanche légitimer que les acquéreurs en soient totalement réduits à dépendre du bon vouloir des producteurs. C’est cependant ce que permettaient les contrats et avenants de 2009.



Alors que divers pays avaient déjà entamé des négociations avec leurs fournisseurs, la France, renouant avec les principes du droit des contrats administratifs – un peu oubliés lors de la négociation des achats de vaccins –, a décidé, le 4 janvier 2010, de résilier unilatéralement, à hauteur de 50 millions de doses sur 94 millions, les commandes résultant du contrat et des marchés passés avec GSK, Sanofi Pasteur et Novartis, en se fondant sur le motif d’intérêt général constitué par la modification du schéma de vaccination, ramené à une seule injection pour tous les patients âgés de plus de dix ans. Cette décision aurait pu intervenir plus tôt, la modification en question ayant été validée le 30 novembre, mais le ministère de la Santé a estimé plus prudent d’attendre que soient passées la fin de l’année et la période d’affluence constatée à la mi-décembre dans les centres de vaccination.



Pour illustrer la situation ambiguë dans laquelle se trouve l’expertise, on peut évoquer quelques éléments récoltés par la commission d’enquête et un article publié dans le British Medical Journal. Par exemple : le rôle déterminant joué par le conseiller du gouvernement britannique Roy Anderson dans le changement de définition de la pandémie opérée par l’OMS. C’est sans attendre que monsieur Anderson a en effet qualifié dès le 1er mai 2009 – c’est-à-dire à peine quelques jours après la découverte du premier cas au Mexique – la grippe porcine de pandémique. Il n’a pas manqué au passage d’insister sur la disponibilité de « deux antiviraux efficaces ». Ce qu’il a tu, en revanche, c’est qu’il percevait l’équivalent de 136 000 euros par an pour ses activités de lobbyiste du laboratoire GlaxoSmithKline (GSK), qui commercialise précisément les antiviraux Relenza et le Pandemrix.

Il faut hélas reconnaître que la situation des experts au niveau français n’est pas non plus sans équivoque. Parmi les experts ayant fait part à la presse de pronostics alarmistes, on compte le professeur Antoine Flahault. Celui-ci, dès le mois de mai 2009, affirmait dans la presse que près de 35 % de la population française pourrait être touchée par le virus H1N1, ce qui pourrait entraîner 30 000 morts. Il a indiqué à la commission d’enquête qu’il n’entretenait pas de liens d’intérêts directs avec l’industrie pharmaceutique et qu’il n’appartenait plus au conseil d’administration du syndicat des entreprises du médicament, le Leem recherche. Néanmoins, son nom apparaît parmi les membres de cette structure au titre de ses fonctions de directeur de l’École des hautes études en santé publique, ce qui « ne constitue pas à ses yeux un lien d’intérêt », mais peut légitimement poser problème au regard de l’impartialité des recommandations qu’il peut faire au titre d’expert de santé publique.



Les intertitres sont de la rédaction.

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