samedi 7 août 2010

le naufrage numérique de la droite

Tribune
Sarkozy, Président low-tech : le naufrage numérique de la droite
Par Arnaud Dassier | Spécialiste du e-marketing | 06/08/2010 | 10H49



Nicolas Sarkozy vote sur Internet au siège de l'UMP en janvier 2006 (Charles Platiau/Reuters)

La droite n'aurait-elle rien compris à Internet ? Arnaud Dassier, professionnel du e-marketing et militant de droite, a participé à la campagne de Nicolas Sarkozy sur le Web. Trois ans plus tard, il dresse un bilan détaillé -et cruel- sur son blog. Rue89 a décidé de publier son dernier billet.

6 mai 2007. Nicolas Sarkozy remporte l'élection présidentielle haut la main avec 53% des voix, en incarnant, entre autres, le dynamisme et la modernité.

En tant que président de l'UMP, il a été pionnier en matière d'utilisation d'Internet et de l'e-marketing depuis 2005 (campagnes d'e-mailing, achat de mots-clés Google, mise en place d'un système d'e-crm, pétitions, opérations de mobilisation, explosion des soutiens et adhésions via Internet, e-fund raising, etc). Il est le premier homme politique à accepter d'être interviewé par un blogueur, Loïc Le Meur.
Sarkozy aurait pu être le premier Président 2.0

Il mène une campagne ambitieuse et dynamique sur Internet, avec toute une panoplie d'actions : web TV, réseau social militant (SupportersDeSarkozy.com) précurseur de MyBarackObama.com, plateforme de débat en ligne, équipe de community management et de buzz, vidéos virales dépassant le million de vues, rencontres avec les blogueurs, etc.

Loïc Le Meur lui apporte un soutien actif et remarqué, incarnant le soutien majoritaire des entrepreneurs internet, en faveur d'un candidat qui affiche une volonté de réformes économiques libérales qu'ils appellent de leurs vœux.

Un sondage du Journal du Net indique que les internautes pensent qu'il a été le candidat le plus dynamique, celui qui a le mieux utilisé Internet.

A priori, le Président Sarkozy a toutes les cartes en main pour devenir le premier Président web 2.0 de l'histoire de France.

Trois ans plus tard, parmi ses ex-électeurs, il est difficile de trouver un blogueur ou un entrepreneur du Web qui défende publiquement son action. Au mieux, ils gardent un silence distancié, ne montant au créneau que face aux attaques les plus excessives (« Sarkozy n'est pas mon Président », « Anti-Sarkozy day »…). Nul doute qu'un grand nombre d'entre eux seront tentés de voter DSK si ce dernier se présente.

La « communauté web » est d'autant plus hystérique dans ses attaques qu'elle ne trouve quasiment plus aucune opposition sur le Net.
Le secrétariat d'Etat de NKM, un cache-misère

Que s'est-il passé ?

Première réponse : rien. Il ne s'est rien passé. Nicolas Sarkozy n'a pris aucune initiative d'ampleur marquant son intérêt pour la révolution digitale, et le rôle que cette dernière joue dans la modernisation de la France et qu'elle pourrait jouer dans celle de l'Etat.

Le secrétariat d'Etat en charge de la Prospective et du Développement de l'économie numérique a le mérite d'exister, mais c'est un cache-misère. De la pure communication (« Je m'intéresse au numérique puisque j'ai créé un secrétariat d'Etat ») dans la continuité de la gadgétisation de l'Internet par une classe politique de notables âgés et low-tech.

NKM y a été nommée pour la « punir » de ses excès verbaux lors du vote de la loi issue du Grenelle de l'environnement, ce qui en dit long sur la considération portée au digital.

Dans la réalité, la France n'a placé aucun projet parmi les 50 sélectionnés lors du dernier concours annuel de l'e-gouvernement organisé par l'Union européenne. Les sites web 1.0 du gouvernement ont fleuri ou dépéri dans une joyeuse anarchie, avec en point d'orgue un ex-site de la présidence française digne d'un dictateur africain (Dieu merci, remplacé début 2010 par une nouvelle version de qualité).
On cherche désespérément une réussite dans ce désert 0.0

La web TV du gouvernement, le portail jeune et France.fr, annoncés en fanfare en 2008 et dotés de 2 millions d'euros de budget, ont fini en eau de boudin deux ans plus tard [Arnaud Dassier a participé à l'appel d'offres pour France.fr, ndlr]. Les nouveaux services en ligne créés entre 2007 et 2010 sont anecdotiques et se comptent sur les doigts de la main.

Le dossier médical informatisé est embourbé depuis des années, aucun projet de data gov n'a encore été lancé alors qu'ils sont déjà opérationnels dans de nombreux pays d'Europe…

On cherche désespérément une réussite ou un projet emblématique dans ce désert 0.0.

Seul rayon de soleil à l'horizon : NKM a réussi, sans doute avec le soutien du pro-tech François Fillon, à obtenir une belle enveloppe de 4 milliards, dont 2 milliards pour les usages et les contenus, dans le cadre du grand emprunt, ce qui devrait permettre de financer de nombreux projets innovants (data gov, e-démocratie, ville numérique, etc).

Les ronchons diront que 4 milliards dans un budget d'Etat de 300 milliards, pour financer un des éléments les plus dynamiques de l'économie mondiale, c'est bien peu, même relativement au montant du grand emprunt (35 milliards), et que ce n'est pas avec ça que la France rattrapera son retard relatif, et deviendra leader dans ce secteur d'avenir.
Un gouffre culturel avec la génération Internet

Deuxième raison : la droite a multiplié les projets et les paroles malheureuses, affichant le gouffre culturel qui la sépare de la génération Internet.

Passons rapidement sur les envolées lyriques anti-Internet de plusieurs parlementaires qui n'ont fait que caricaturer leurs réflexes conservateurs, leur goût de la fausse polémique politicienne et de la démagogie médiatique et surtout leur ignorance de l'Internet.

Il en reste malheureusement une image désastreuse pour la droite aux yeux de la frange de la jeunesse connectée qui suit un peu l'actualité. Loin de moi l'idée de considérer Internet comme une divinité intouchable, mais encore faut-il en débattre avec des arguments sensés, et pas avec des incantations de café du commerce qui s'apparentent à une chasse aux sorcières.

Le pire a été cette pitoyable équipée de l'Hadopi, dont le naufrage annoncé se déroule précisément comme tous les amis « web-friendly » de la majorité l'avaient prévu dès le départ. On a pris le risque de se ringardiser et de se couper d'une partie de la jeunesse pour faire plaisir à une poignée d'artistes millionnaires.

Un conseiller ministériel m'avait alors confié qu'il s'agissait seulement de faire passer un message dissuasif et que ce système ne serait jamais réellement appliqué. Au final, les artistes sont furieux face aux atermoiements de la mise en place du système. Brillant.

Quand on compare avec les innovations de l'administration Obama, regroupées sous le programme « Governement 2.0 », sous la houlette d'un directeur des systèmes d'information installé à la Maison Blanche, on est pris d'un léger sentiment de « honte » qui blesse l'orgueil patriotique.

Il n'y avait pourtant aucune fatalité à ce que les Etats-Unis, et la plupart des grands pays européens, passent devant la France en la matière.
La droite s'est e-ringardisée

L'UMP a planté le clou final avec ses initiatives pseudo-branchées :

* lipdub grotesque qui a ridiculisé la jeunesse de droite auprès d'un million de jeunes électeurs ;
* bide total de son réseau social à 250 000 euros qui devait révolutionner la politique ;
* multiplication des infractions au droit d'auteur en contradiction totale avec l'esprit d'Hadopi…

Cette séquence de paroles malheureuses et d'échecs successifs, qu'aucun projet emblématique, ni aucun succès opérationnel, n'est venu contredire, n'a fait que conforter l'image d'une droite française qui, en trois ans de pouvoir, s'est elle-même e-ringardisée et fabriqué de toute pièce une image anti-Internet, autant dire anti-modernité, voire anti-jeunes.

Les leaders de la gauche ne sont pas nécessairement moins ringards que ceux de la droite. Au moins ont-ils la prudence politique de faire semblant de respecter les activités ésotériques de leurs jeunes électeurs et l'intelligence de ne pas prendre le risque d'afficher leur ignorance en la matière. Comme quoi, le discours décomplexé de la droite sarkoziste n'a pas que des avantages.
DSK, candidat des internautes en 2012 ?

Les professionnels de l'analyse politique vous expliqueront que tout cela n'a aucune importance et que la France réelle se contrefout de l'Internet, que les vrais enjeux sont ailleurs, que les électeurs de droite sont vieux… C'est en grande partie vrai. Internet ne fera pas l'élection, loin s'en faut.

N'empêche que la droite s'est mis inutilement un caillou supplémentaire dans la chaussure. Cela participe à la construction d'une image générale, excessivement conservatrice et sécuritaire, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne rencontre plus, pour le moment, un grand soutien dans la population.

Pour 2012, rien n'est joué bien sûr. Nicolas Sarkozy garde toutes ses chances, et l'Internet, comme outil et comme attribut socio-culturel, jouera un rôle sans doute marginal dans le résultat de l'élection présidentielle.

Mais dans un combat serré, un élément marginal peut jouer un rôle décisif. Il est plus difficile de battre un candidat soutenu par la grande majorité de la jeunesse au sens large -les générations X et Y qui biberonnent à l'Internet- même quand on a le soutien des vieux…

Quand on voit le rôle que la génération Internet a joué dans la campagne Obama, on peut légitimement s'inquiéter. Que se passera-il si elle se met très majoritairement au service du candidat de la gauche (risque renforcé si cette dernière a l'intelligence de choisir un candidat « web-friendly » comme DSK) ?

Il reste deux ans à la droite pour se « réconcilier » avec la génération Internet. Vu le passif, il faudra des mots et des actes forts.

► Mis à jour le 06/08/10 à 13 heures. Remplacement de l'adjectif « digital » par « numérique » dans le titre, suite à la remarque d'un riverain.

► Mis à jour le 06/08/10 à 15 heures. Arnaud Dassier ayant participé à l'appel d'offres pour France.fr, cela a été précisé dans le passage évoquant ce site.

Les intertitres sont de la rédaction de Rue89.

Photo : Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, vote sur Internet à l'occasion d'un scrutin interne au siège de l'UMP, le 11 janvier 2006 (Charles Platiau/Reuters)
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